Arboretum


texte et mise en scène

Simon Roth






© Cédric Bolusset


Vu à Les 3T - Théâtre du Troisième Type - 6 septembre 2024

                                    



“Rhizome d’Arboretum“



Arboretum de Simon Roth a été présenté pour l’ouverture du théâtre des 3T, non pas au théâtre, mais dans la grande salle d’accueil, près du bar, avec une estrade et un vidéoprojecteur.

Cette disposition et ce lieu s’y prête bien puisqu’Arboretum se construit autour de la fête des roches du village de Rocheville. Moment intense de sociabilité, mise en valeur des savoir-faire paysans, danses et chants traditionnels, cette fête s’est arrêtée en 2015, essoufflée par le passage du temps et des générations. L’autre jambe sur laquelle tient le spectacle, c’est la figure du grand-père de l’auteur, metteur en scène et acteur du spectacle – accompagné au plateau par Benjamin Bertocchi et Julie Bulourde. Le diagnostic pour le grand-père de la maladie d’Alzheimer en 2015 ainsi que la disparition concomitante de la fête du village déclenchent le processus d’écriture du spectacle. La mémoire individuelle qui s’efface se trame dans le spectacle avec la perte de la mémoire paysanne à l’échelle du village. Arboretum travaille alors à partir d’enregistrements audio ou vidéo, par la rediffusion et aussi le rejeu, ou reenactment, de certaines scènes, dans le style déjà engagé par Simon Roth dans Une jeunesse en été.

Le spectacle pousse néanmoins dans l’entre-deux de la biographie du grand-père et de la monographie de son village. À l’image du rhizome, cette catégorie de tige en botanique qui se distingue des racines, Arboretum n’établit pas de hiérarchie entre l’intimité, le physiologique, le collectif et l’individuel. Un premier dialogue s’amorce par une question d’une sincérité et simplicité désarmante : « Papi, pourquoi tu parles pas de toi ? ». Manière directe de réfléchir aux difficultés du récit de soi, et ainsi de commencer à faire tomber les barrières. Mais le spectacle s’ouvre là par un regret, par la question par laquelle il aurait fallu commencer, et qu’on ne peut plus poser maintenant. Ce ne sera pas un biopic sur lui. Lui, c’est papi, qui surgit au détour – « là où papi et mami habitent »- d’un topo sur ce village du Cotentin plutôt ordinaire, Rocheville, nombre d’habitants, emplacement, situation économique. Papi, nom familier et attachant, qui par cette formule générique installe déjà une empathie, une identification à d’autres figures réelles ou imaginaires. L’arboretum c’est celui de papi justement. Dans le verger, il a planté un arbre pour chaque personne de la famille : « Moi, j’ai pas d’arbre, puisque moi, j’ai le reste ». On peut le prendre comme une clé d’entrée dans le spectacle. Le moi est diffracté. C’est en allant voir le reste qu’on saisira, qu’on rencontrera aussi ce qui se joue de cette vie, dont la défaillance progressive de la mémoire va accompagner le spectacle. Et le reste, c’est notamment ce village, et sa fête des roches.

À cette fête, on se réunit autour du « vieux méti » - le vieux métier s’entend- par exemple la fabrication à la main du beurre. Est-ce que ce n’est pas une célébration assez réactionnaire de la tradition, qui se pose en repli avec une pratique -production paysanne, chant, danse- qui n’a plus cours que dans ces moments rituels ? Les danses rejouées sont citées avec ironie, et font voir ce qu’il y a à interroger dans la distribution genrée des rôles. Mais est-ce que le « traditionnel » n’est pas une mauvaise focale, pour penser les changements dans les modes de vie de ce village? On aimerait reprendre la question d’ouverture : « pourquoi ne pas parler du « pourquoi ? » des choses » ? Pourquoi on en est venu à un tel appauvrissement des modes de vie villageoise ? A l’échelle d’une ferme et trois générations, le film La ferme des Bertrand en donne un exemple d’un tel traitement de ce pourquoi. Mais il faudrait se poser cette question différemment peut-être : « comment poser la question du pourquoi des choses ? ».

Dans un entretien rejoué, Morgane Montagnat, géographe au laboratoire d’études rurales, pose une distinction au sein du traditionnel. D’un côté le folklorique vise à conserver une communauté préexistante et de l’autre un rapport de réappropriation du patrimoine vise à créer une communauté éphémère. Où se situe le théâtre avec ce spectacle qui emprunte au biopic, au standup, qui pastiche Lagarce mais élabore aussi son propre style de théâtre documentaire ? Qu’est-ce qu’un public, et comment ce spectacle-ci opère sur le public ? Fait-il communauté ? Ce spectacle émeut et instruit. À la figure générique du papi succèdent aussi des fragments des vidéos d’archive qui convoquent la singularité du grand-père, ses attitudes, ses gestes, son phrasé, qui progressivement s’altèrent. Son nom à la fin : Albert Charles Joseph Vautier. Et quelques détails de ses obsèques : les béatitudes de l’évangile de saint Matthieu, lus par ses enfants. Le théâtre est une fête bien particulière. Près du bar, dans le silence du regard et des corps attentifs, il nous fait saluer le lointain et le proche, le familier et le cringe, et nous rappelle qu’il y a le reste – qu’on ne saura pas.



William Fujiwara, 24 septembre 2024
    


Distribution 

Texte, mise en scène Simon Roth

Jeu Simon Roth, Benjamin Bertocchi, Julie Bulourde

Collaboration artistique Louis Kientz, Marie Thiébault, Liora Jaccottet

Lumières Andréa Vida













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