ENQUÊTER
SUR LA
JEUNE CRÉATION



Détectives Sauvages est un journal entièrement consacré à la jeune création qui voit le jour en juillet 2022. Il publie principalement des critiques mais aussi des réflexions sur la recherche actuelle des jeunes créateur.rice.s. Les articles sont dédiés à des artistes de moins de 35 ans, et sont écrits par des rédacteur.rice.s de moins de 35 ans.

La création de Détectives Sauvages répond à un besoin crucial de donner une vraie place aujourd’hui à la jeune création dans la critique théâtrale et dans la réflexion sur l’esthétique contemporaine. Que ce soit dans les médias nationaux ou indépendants, le pourcentage d’articles consacrés aux jeunes artistes excède à peine 3% en moyenne. Cette relative invisibilité médiatique est inversement proportionnelle au nombre de festivals dédiés à la jeune création qui naissent chaque année en France et à l’étranger.


Détectives Sauvages n’envisage pas les jeunes créateur.rice.s comme des promesses en voie d’éclosion mais comme les artistes d’aujourd’hui. Ceux dont les gestes artistiques bousculent en permanence l’esthétique et les dispositifs d’écriture (théâtrale, chorégraphique…) Ceux qui renouvellent les matériaux scéniques. Ceux dont les spectacles présentés en festivals, les maquettes, les sorties d’école et de résidence laissent rarement de traces écrites. Parce que leurs objets sont peu vus par les journalistes ou parce que les contraintes éditoriales imposent parfois de les passer sous silence.

A cet égard, il incombe plus que jamais à un journal d’enquêter sur la jeune création. Enquêter ne signifie pas faire apparaître ou « faire émerger. » De fait, Détectives Sauvages souhaite libérer les jeunes créateur.rice.s du régime de visibilité actuel, inhérent au concept d’ « émergence. » Régime de visibilité dans lequel la réussite d’un.e jeune artiste semble dépendre de son apparition dans le paysage médiatique. Enquêter, c’est avoir pour ambition principale de connaître et de faire connaître, de comprendre, d’appréhender sans a priori un territoire ignoré.

Les rédacteur.rice.s de Détectives Sauvages ne sont pas des journalistes mais des chercheur.se.s en études théâtrales ou des passionné.e.s des arts vivants. Ils s’engagent à écrire sur un maximum de spectacles, que ce soient des créations finies, des maquettes ou des ébauches. Ils se déplacent (dans la limite de leurs moyens) en France et à l’étranger, dans des lieux ayant les moyens financiers d’accueillir la presse comme dans ceux qui n’en ont pas. Leur objectif principal est de rapporter ce qui se joue maintenant dans le jeune paysage créatif, en délaissant les éléments de langage infantilisants ou les logiques concurrentielles qui irriguent parfois l’écriture journalistique.

Ces écueils tombent d’ailleurs d’eux-mêmes dans ce journal. Car en donnant seulement la place aux jeunes créateur.rice.s, toutes les références et les comparaisons avec des artistes aguerris n’ont plus droit de cité. Le lexique de la « tentative », du « risque », de la « promesse » ou de la « jeune pousse » est remisé. Il importe seulement de penser des œuvres et non de juger des présages. Appréhender des gestes indépendamment de leur contexte et de leur destin, qu’il soit déjà florissant ou profondément incertain. Le journal, dont l’esprit critique n’est pas pour autant complaisant, entend justement mettre en avant la recherche plutôt que l’aboutissement, le pari artistique plutôt que la perfection.

Détectives Sauvages est également nourri par les jeunes artistes eux.elles-mêmes. De fait, des commandes d’écriture ou des publications de tribunes et d’œuvres nourrissent l’enquête. Le journal est principalement lisible sur le Web, se donnant toutefois pour ambition d’éditer chaque année une revue papier.
Son terrain d’enquêtes est mis à la disposition du grand public comme des professionnel.e.s (programmateur.rices, directeur.rice-s de théâtre, journalistes…) qui parfois, pour des contraintes diverses, ne peuvent avoir connaissance des jeunes artistes qu’ils pourraient suivre et accompagner. L’équipe de Détectives Sauvages souhaite également organiser des rencontres avec de jeunes artistes autour de festivals et de problématiques précises, ainsi que des ateliers centrés sur la critique.

Les critiques de Détectives Sauvages suivent une éthique précise. L’objet du journal n’étant pas de distinguer et de hiérarchiser, le critique a pour tâche principale de comprendre et d’analyser les gestes, esthétiquement et politiquement, et ce indépendamment de tout jugement. L’avis critique n’interviendra qu’à la fin de ce travail analytique. La critique se libère aussi de la pression médiatique et des logiques de production, puisque les spectacles évoqués dans Détectives Sauvages restent en priorité ceux qui ne sont pas encore promis à tourner, et ceux qui cherchent même parfois un lieu de résidence pour être aboutis. Pour ce faire, le journal finance dans la mesure de ses moyens des voyages de presse qui ne pourraient pas être pris en charge par les compagnies ou par les structures.

Il s’agit alors d’inscrire la critique dans une autre temporalité que celle qui la régit actuellement. Dans son essai paru aux éditions La Fabrique en 2021, intitulé “Cantique de la critique”, Arnaud Viviant écrit que la “critique [...] qui s’exprime au jour le jour, sans recul, dans les différents médias qui existent, y compris Internet, est révolutionnaire en cela qu’elle s’exprime toujours la tête dans le billot. Il n’y a pas de postérité pour elle au-delà de sa parole présente, vivante. Disons-le autrement : dans l’ordre du journalisme auquel elle appartient, la critique se préoccupe plus d’avènement que d’événements, d’où sa très trouble noblesse.”

Écrire sur la jeune création oblige à sortir de la logique présentiste d’une critique immédiatement lisible, utile, rentable pour les artistes et ceux qui vont la lire. En effet, il s’agit d’écrire sur des spectacles qui sont parfois invisibles pour le public, qui ne sont pas « avenus », arrivés encore dans le paysage. Écrire sur la jeune création, c’est effectivement ne pas se préoccuper de simples avènements mais bien d’événements, l’émergence d’un artiste étant un événement en soi, flou, insituable qu’il faut accompagner patiemment.

Écrire sur la jeune création, c’est donc faire l’effort de s’inscrire dans une temporalité parfois plus longue, plus indéfinie, plus fragmentaire, plus incertaine. C’est faire l’effort de sonder patiemment les gestes esthétiques, enquêter, écrire des réflexions indépendantes de la critique sur un processus de création, s’immiscer au coeur même des processus de création et de production, dans les écoles, les festivals, et transformer par là même son pouvoir d’ “émergeur“ de talents en celui, plus modeste et plus fécond, d’ “accompagnateur“ de jeunes artistes, de détective curieux et alerte.


UNE ENQUÊTE EN TROIS TEMPS


♠La première phase de l’enquête est celle des RECHERCHES, articles de fond sur différentes problématiques, aussi bien esthétiques que matérielles et politiques, qui agitent actuellement la jeune création. Ils pourront être consacrés à des créateur-rice-s en particulier ou bien être à des réflexions transversales sur des tendances ou des revendications qu’il paraîtrait judicieux de mettre au jour. Aux réflexions écrites par les rédacteur-rice-s de Détectives Sauvages s’ajouteront des commandes faites à des artistes, des auteur-rice-s, des directeur-rice-s de festival ou de structures liées à la jeune création.



☺Le second temps est celui des RENCONTRES. Détectives Sauvages souhaite donner la parole à un maximum de jeunes professionnel.le.s du spectacle vivant, quel que soit leur corps de métier. Ces rencontres leur donnent ainsi la possibilité d’évoquer posément leur travail, dans un espace de parole libéré des contraintes et des attentes d’une interview. Elles peuvent être aussi l’occasion de répondre à des critiques. Elles sont à lire ou à écouter.



☻ Enfin, les RAPPORTS (critiques) font suite à une démarche de compréhension et d’appréhension d’un geste artistique. Leur taille est libre mais leur structure répond à une éthique précise. Les rédacteur-rice-s de Détectives Sauvages écrivent en priorité sur des objets qui leur paraissent singuliers et qui appellent l’analyse.


Ressources

Fédération des Pirates du Spectacle Vivant, “Le Manifeste des immergé.e.s”, Éditions Komos, 2021.

Estelle Zhong Mengual et Baptiste Morizot, “Esthétique de la rencontre”, Éditions du Seuil, 2018.

Denis Guénoun, “Critique”, texte paru dans la revue Frictions, publié sur le site de l’auteur.

Mariette Navarro, “Questions réélles et perceptives imaginaires”, Parages n°10 (Revue du Théâtre National de Strasbourg), 2021.






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