RENCONTRE AVEC

THÉODORE OLIVER


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Théodore Oliver est comédien et metteur en scène. Il crée en 2015 la compagnie MégaSuperThéâtre, implantée à Toulouse. Son travail (notamment Les Assemblées, conversations posthumes avec Gilles Deleuze, crée en 2017) est en prise avec la philosophie et des réflexions sur la fonction et les pouvoirs du théâtre. Il nous parle de sa quête éperdue d’une « ligne de fuite » dans un théâtre contemporain dominé selon lui par des « formes autoritaires. »



                                    

“On fait en sorte que la représentation ne soit pas bloquée”



Pierre Lesquelen - « Fouilles »,  « auscultation », « application »… Le lexique de la recherche semble être au centre de votre démarche artistique. Pourquoi ?

Théodore Olivier -  Je me méfie beaucoup de l’écriture. J’ai toujours besoin de chercher à plusieurs, d’accumuler les couches de réflexion. Nous commençons chaque création par une phase de recherche collective. Elle prend du temps mais nous faisons rarement quinze jours de pure réflexion, sans tentative scénique. La recherche doit aboutir à l’apparition d’un monstre. Lorsque le monstre-spectacle commence à apparaître, c’est le moment où la dramaturgie (l’origine et la structure intellectuelles de l’œuvre) commence à se dissimuler. La recherche a permis de trouver des axes, et elle influe naturellement sur l’esthétique de la forme finale qui porte la trace des tentatives multiples qui l’ont précédée. Car, pour l’instant, je n’arrive pas à me contenter d’une chose dans un spectacle. La recherche, que je qualifierais comme un bain dans lequel tout le monde (acteur.rice.s et collaborateur.rice.s) se rassemble, est créatrice d’une complexité qui ne me fait pas peur. Je me dis parfois que cette recherche est peut-être trop longue, que si elle était resserrée le geste final pourrait être plus droit.

P.L. - En même temps, la nécessité d’un geste fragmentaire, non rectiligne, transparaît dans La Fabrique des idoles et dans les manifestes de MégaSuperThéâtre. Est-ce que cela vient d’une réflexion sur l’esthétique théâtrale qui vous est propre ?

T. O. - Ce que je me suis dit très vite, et ce dès la première forme que j’ai menée (C’est quoi le théâtre ?, spectacle conçu pour des salles de classe, qui interroge les enjeux de cet art aujourd’hui), c’est que je ne croyais pas que le théâtre soit une entité en soi, qui trouve naturellement son public. Pour moi, cela ne sert à rien de mobiliser le théâtre comme un médium qui réussirait autant qu’un autre. Parfois, je vois un spectacle en me disant qu’une émission radiophonique, un film ou un documentaire auraient été des médiums plus adaptés pour ce qu’on essaie de me raconter. Ainsi, et c’est ce qui explique le côté fragmentaire et convivial de mes propositions, j’essaie toujours de réfléchir en priorité à la place absolument singulière du spectateur de théâtre. Il doit avoir accès aux codes de la représentation. J’ai l’impression que les conventions théâtrales ne sont pas innées pour lui. Je veux qu’il puisse avoir un moment d’intelligence fort et se mettre au travail. Je veux que le spectacle soit une enquête pour lui aussi. Tous les artistes qui me nourrissent (Angelica Liddell, Sylvain Creuzevault, Nicole Génovèse, Oscar Gómez Mata, Guillaume Bailliart…) me semblent créer un cadre de représentation presque classique à l’intérieur duquel ils introduisent du décalage ou plus exactement, pour reprendre une expression de Deleuze qui m’est chère, une ligne de fuite. C’est un peu comme dans l’Abécédaire de Deleuze, qui choisit un cadre familier à l’intérieur duquel des pensées parfois inouïes peuvent circuler avec son auditeur.rice. Je veux qu’au théâtre, on soit saisi par une fenêtre qui nous accueille et nous donne accès à quelque chose d’étrange. Dans La Fabrique des idoles, nous cherchions justement à travailler à partir de choses clichées en se disant qu’à l’intérieur il y aurait des surgissements incongrus.

P. L. - Votre recherche formelle réagit-elle consciemment aux esthétiques dominantes du théâtre contemporain ?

Oui, c’est une forme de réaction. La représentation est selon moi la grande question à laquelle se confronte le théâtre aujourd’hui. La fable classique reproduit trop souvent des représentations problématiques dans lesquelles on est déjà. D’où les nombreuses formes d’autofiction qui prolifèrent aujourd’hui, ou les gestes de théâtre documentaires qui par leurs sujets font autorité. Ces formes semblent avoir réglé les questions brûlantes de la représentation en introduisant le réel immédiat sur le plateau. Le rapport au réel m’intéresse quand il est brisé. Dans La Fabrique des idoles, on ne parle certes que de nous et que de nos croyances mais on tente de faire entrer l’étrange et l’altérité dans ce qui nous concerne. On fait en sorte que la représentation ne soit pas qu’un processus de figuration. Qu’elle ne soit jamais bloquée.

P. L. - La question de la fiction semble être au cœur de ce spectacle. Vous citez dans votre dossier Le Récit est un piège de Louis Marin. La fiction au théâtre ne peut-elle être qu’un piège selon vous ?

Pour qu’elle ne soit pas qu’un piège, il faut soigner ses conditions d’apparition. Pour moi, un spectateur s’intéresse parce qu’il y a une fenêtre, des signes, qui vont lui indiquer que de la vie se passe ici. Il faut faire apparaître la fiction. Dans le prologue de La Fabrique des idoles, nous cherchons une forme d’empathie singulière qui permet cela. Qui permet par exemple au spectateur de s’intéresser à des langues difficilement entendables si cette fenêtre initiale n’était pas posée (comme la langue médiévale de la Chanson de Roland). Nous ne cherchons pas à empêcher le confort du spectateur dans la fiction mais à le troubler en introduisant dans chaque représentation des lignes de fuite. Il faudrait parvenir à écrire des fables nouvelles, qui traitent avec le problème actuel de la représentation sans en faire un manifeste. Faire jaillir des fables qui donneraient au spectateur une sensation d’histoire alors même qu’il n’arriverait pas à les nommer comme telles. Des fables qui ne nous tiendraient plus par leur suspense mais par l’étrangeté de ce qui s’y passe. J’ai cru prétentieusement que le postmodernisme était la solution. Grâce à Solange Oswald, je me suis intéressé par exemple à Falk Richter et à d’autres auteur.rice.s qui semblaient affirmer que toutes les histoires avaient été écrites, qu’il ne restait plus que des fragments, des ruines à déchiffrer. Mais dans La Fabrique, nous cherchons à dépasser notre héritage postmoderne. Je voudrais que les acteur.rice.s parviennent à dépasser cette forme fragmentaire, qu’iels investissent les transitions pour les faire devenir des étapes absolument nécessaires de ce grand récit éclectique.

Propos recueillis à Avignon le 20 juillet 2022.




Le site de MégaSuperThéâtre est à consulter ICI



- à lire en parallèle -

OLIVER

LA FABRIQUE DES IDOLES




AVIGNON OFF

Critique de Pierre Lesquelen - 14.07.22



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