LA FABRIQUE DES IDOLES

écriture et mise en scène

THÉODORE OLIVER






© Pablo Baquedano


Vu au Festival d’Avignon (OFF) - 11 Avignon - 8 juillet 2022


                                    

“Idoles malgré tout”


Va-t-il encore s’agir de déconstruire les figures qui font l’humanité et sa grande histoire, celles qui sont devenues, pour notre conscience rassasiée, de pures vignettes très éloignées de leurs fondements ? Rien n’est si simple car l’ambiguïté féconde de cette Fabrique des idoles réside dans le fait qu’elle est à la fois un espace critique, où l’idole exhibe ses coutures grossières pour calmer nos illusions, et une entreprise de régénération esthétique où celle-ci, loin de devenir image morte, retrouve une vibration perdue. 

Le spectacle mis en scène par Théodore Oliver est composé de séquences qui, par leur relative brièveté, tend à confondre sa succession de saynètes avec l’énergie d'un catalogue d’images épluché au départ très rigoureusement (se succèdent linéairement une cosmogonie express,  “l’après-histoire”, les temps médiévaux de Roland…) puis hasardeusement (on s’aventure alors de talk-show putassiers en interrogatoires évangélistes). Dans les opérations proposées (un peu répétitives sur le long terme malgré la diversité de leurs formes), cette remise à l’ouvrage de nos images d’Epinal se densifie grâce à une dramaturgie qui sait dissimuler sa finesse et son effort de conceptualisation du geste théâtral sous une structure d’apparence décalée et spontanée. Une dramaturgie qui repousse par ailleurs le seuil sur lequel elle aurait pu se complaire si elle n’était qu’une pâle mise au jour brechtienne des grands récits. Puisqu’après les coulisses blagueuses de l’épopée qui nous montrent la fable en train de faire et de défaire ses effets narratifs, Oliver préfère des séquences qui valent moins pour la distanciation qu’elles prévoient que pour l’ouverture du sens qu’elles inaugurent.

C’est en cela que le pari déconstructiviste du Méga Super Théâtre, à l’heure où beaucoup d’artistes s’arrêtent à l’orée critique du geste, est très intelligent. Prenons pour exemple ces deux reenactments qui s’écartent opportunément de l’humour privilégié par l’ensemble. D’abord celui de la chanson de Roland où, par une dissociation du corps et de la parole, la figure du héros (ébauchée à vue par Chloé Sarrat) devient une surface de projection sur laquelle les mots butent pour mieux lui restituer son mystère. Puis celle de l’interrogatoire de Marie par un évangéliste où seul advient, à défaut du grand récit livresque, le trouble bouleversant d’un corps féminin qui échappe au logos (nous aurions aimé cependant que, davantage au présent, les acteur.rice.s puissent généraliser cette intensité). C’est pourquoi la fabrique est moins le lieu des histoires malades et des contre-histoires retrouvées que l’endroit de leur percée. C’est pourquoi elle n’est jamais une entreprise surplombante chargée d’émanciper une foule trop dupe mais un espace vierge (boîte blanche à l’appui) rêvant une nouvelle relation entre le regard et l’idole. L’œil actif, d’abord stimulé par l’ambition critique du geste, devient un œil passionné par les troubles et les revers de sa mythologie. Opération réussie.

Cela explique sans doute que le spectacle d’Oliver mêle des signes de théâtre postdramatique (en plus des adresses directes, le prologue invite le spectateur à être en pleine conscience et à calmer son souffle, comme dans ce plaidoyer originel des histoires à terre qu’est l’Outrage au public de Peter Handke) à des relents permanents de dramaticité. Dès le prologue, la présence anti-théâtrale (peut-être pourrait-elle l’être davantage pour mieux percevoir leur connexion au présent avec ces fantômes de l’histoire) des acteur.rice.s apparaît comme un leurre ironique car toutes leurs paroles, fragments intimes, se chargent immédiatement d’une valeur dramatique involontaire. Images malgré tout, écrivait Didi-Huberman, Idoles malgré tout, poursuit Oliver. Chez lui, l’indétermination entre performance immédiate et théâtralité affutée (en vigueur chez les jeunes artistes) est cette fois mise au service d’une revitalisation des oripeaux fabulateurs. Dans le théâtre contemporain, où la résurgence de grands récits est censée réparer une symbolique en crise, ce spectacle semble affirmer avec panache (sans jouer le manifeste) qu’un territoire de fiction libéré de la persuasion facile, rendu à la confusion des intériorités et à la complexité des images est hautement souhaitable.



Pierre Lesquelen, 14 juillet 2022

    

Distribution

Écriture Simon Le Floc'h, Romain Nicolas, Théodore Oliver, Quentin Quignon, Chloé Sarrat, Mélanie Vaysettes

Mise en scène Théodore Oliver

Avec Simon Le Floc'h, Quentin Quignon et Chloé Sarrat

Dramaturgie Romain Nicolas

Collaboratrice artistique Mélanie Vayssettes

Création Son / Vidéo / Régie Son Clément Hubert

Création Lumière Gaspard Gauthier

Régie Lumière / Régie Générale Édith Richard

Scénographie Elsa Seguier-Faucher

Regard dramaturgique Yann-Guewen Basset

Costumes Coline Galeazzi

Construction Victor Chesneau





    ︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés