MAQUETTER, EST-CE COMPRESSER ?

AUTOUR DE LA SÉLECTION PRÉMISSES 2022






Pierre Lesquelen, 3 octobre 2022


“Structure privée investie d’une mission de service public“, menée par Claire Dupont et Raphaël De Almeida, Prémisses proposait au Monfort le 24 septembre 2022 une nouvelle journée de sélection tournée cette année vers “des formes de création plurielles“, sollicitant le regard des professionnel.le.s pour définir les deux jeunes équipes accompagnées ces trois prochaines années en production et en diffusion. L’occasion non pas de commenter son palmarès et d’analyser les gestes volontairement transdisicplinaires qui furent proposés cette année, encore moins de vanter ou de nuancer le dispositif proposé, mais d’interroger sommairement le format maquette lui-même au travers des sept prémisses en question.



“Ce n'est pas la mouture d'un spectacle en devenir mais son vestibule ou plutôt le premier galop de son essai“ voilà comment Jean-Pierre Thibaudat définissait en 1996 l’art subtil de la maquette*. En ces années où l’exercice commençait à se répandre dans le jeune paysage créatif, la maquette conservait encore son beau sens modéliste : elle s’affichait volontairement selon le journaliste comme une ébauche, comme un “croquis“, comme un “théâtre bricolé sur le vif ou presque“. Il semble qu’avec la multiplication des dispositifs dévoués à l’émergence où elle est devenue un passage obligé (regoûter à ce propos le “couscous de l’émergence“ de Camille Dagen, publié dans nos pages), celle-ci n’est plus tellement synonyme aujourd’hui d’opportunité ludique pour l’artiste, d’élan spontané vers son risque, de lancée joyeuse dans ses balbutiements. Et pour cause, la maquette n’est plus regardée comme du “théâtre à jeter comme on jette un quotidien après l’avoir lu“ (cf Thibaudat), ou au mieux comme du “papier à recycler, ailleurs et autrement.“ Elle est maintenant scrupuleusement observée, comparée, jugée. Elle est moins un fragment jeté avec ardeur dans la mare esthétique qu’une forme brève mûrement réfléchie. Elle est moins un instant offert et ouvert par l’artiste qu’un temps imparti par celles et ceux qui le regardent. Conséquence de cette révolution, la maquette s’oblige désormais à tenir compte de l’œuvre, à être le témoin fidèle d’un spectacle qu’elle doit en même temps donner à rêver.

Ligne de crête bien périlleuse sur laquelle les sept propositions de cette journée Prémisses (dont deux hors sélection) n’ont cessé de graviter. Celles-ci ont attesté l’inflexion du maquettisme théâtral que nous venons de nommer, la maquette étant devenue majoritairement une épreuve de réduction et de communication, plus qu’un “vestibule“ intrigant et hasardeux tremblé par la recherche de l’œuvre à venir. L’exercice de compression semble plus aisé quand le spectacle en question est anti-dramatique et que l’artiste peut le raccourcir sans trop altérer sa temporalité : c’est le cas de la performance de Maxime Thébault (Small boy, parcours infra-humain très steven cohenesque, que la maquette ne semblait pas trop altérer) ou de la forme circasso-théâtrale de Quentin Beaufils et Léo Ricordel (Sillages, où deux corps essayent d’entrer en résonance avec la matière sonore documentaire qui borde leur trampoline, dans un format qui dure moins longtemps que celui escompté, comme le précisent ensuite les artistes, mais qui expose déjà tous ses éléments). Le temps de la maquette et celui du spectacle semblent dans ces deux cas se confondre. Permettant une projection immédiate, une immersion pour le moins efficace dans l’œuvre qui n’est pas encore là, cette recherche d’une contiguïté temporelle entre forme écourtée et forme réelle donne toutefois l’impression de relativiser l’œuvre en question. Car si la maquette peut sans problème la réduire, sans accuser le dommage ou l’arbitraire de cette réduction (c’était aussi le cas pour Cahier d’autopsie de Martin Barrientos et pour Personne, Chroniques d’une jeunesse Ugo Fiore), elle peut donner au public de professionnel.le.s, censé se projeter à long terme et aider l’artiste à aboutir sa recherche, à la fois l’impression d’une œuvre déjà là (car ce qui est montré cherche à valoir pour ce qui pourrait l’être) et d’une œuvre qui altère son intégrité dramaturgique et esthétique, en suggérant qu’elle peut se soumettre à tous les formats.

À ces maquettes qui essayent de refléter fidèlement l’œuvre à venir en masquant leurs incomplétudes s’opposent des fragments en mode sommaire qui sur-investissent quant à eux le temps bref qui leur est donné (une vingtaine de minutes). C’est le cas des deux œuvres les plus dramatiques de la sélection, reposant sur des intrigues respectivement mythologiques et actuelles, à savoir Comment tuer un visage de Béatrice Bienville et Gloria Gloria de Sarah Delaby-Rochette. Une volonté de synthétiser les grands axes du mythe réactualisé domine dans le premier cas, et dans l’autre celle de donner à voir une multitude d’extraits, rendant justice aux divers régimes de jeu actionnés par le spectacle (conversations quotidiennes, bruitages….) Une autre modalité de compression se joue alors ici, au sens plus littéral du terme, compression qui ne passe plus par une capture fidèle du spectacle mais par sa recomposition, sa re-fabulation. Dans les quatre cas mentionnés précédemment, on semblait trop voir le spectacle pour que celui-ci conserve son mystère, dans celui-ci on distingue trop peu dans quelle temporalité, et parfois dans quelle esthétique il veut vraiment s’inscrire. La maquette devient alors une traduction, une belle infidèle qui semble davantage raconter le spectacle que permettre aux spectateur.rice.s de l’imaginer par eux.elles-mêmes. La maquette n’est plus qu’un truchement de l’œuvre à venir, elle parle pour lui, elle l’enrobe, le communique et, du coup, le dénature et le virtualise.

Bien sûr, notre intention n’est pas de juger ces maquettes qui répondent à un exercice forcément insatisfaisant. Si nous souhaitons enfin distinguer l’une d’entre elles, c’est sans aucun jugement de valeur ni prédiction de la qualité des spectacles à venir, mais pour montrer à quel point la contrainte peut parfois s’avérer féconde. Il nous semble effectivement qu’en affrontant son temps trop court, qu’en faisant de la maquette un protocole ludique au profit de son propre spectacle, Gabriel Sparti (metteur en scène belge qui présentait l’ébauche de Heimweh) soit parvenu à desserrer cet étau et échapper au paradigme de la compression. Non seulement parce qu’il impose dans sa présentation toute la radicalité de son esthétique infra-théâtrale, en sous-rentabilisant le temps bref qui lui est offert par les discussions drôlatiquement prosaïques de ses acteur.rice.s (pendant que les interrogé.e.s parlent de leurs horaires de train, un maître du temps ne cesse de chronométrer vocalement le processus). Mais aussi parce qu’il opère des glissements entre différents régimes de théâtralité (précipitées par le coup de marteau imprévu et énigmatique du maître de cérémonie) qui ne dénaturent pas l’hybridité de l’œuvre à venir mais qui rendent justice à son incongruïté. Parce qu’elle densifie son temps bref en y ouvrant des brèches, cette maquette ne tient plus l’œuvre dans ses griffes médiatisantes. Elle ne cherche ni à refléter ni à synthétiser le vrai spectacle. Elle n’est plus son pis-aller mais son antichambre, son authentique “vestibule“. L’énigme de l’œuvre reste intacte et donne très envie d’en voir bien plus.



*Jean-Pierre Thibaudat, « “Une maquette“, mais qu'est-ce donc ? Du JTN à l'échantillon des Rencontres de la Cartoucherie, deux conceptions opposées. », Libération, 26 juin 1996. 



Le projet Gloria Gloria de Sarah Delaby-Rochette a comptabilisé le plus de voix. Étant déjà soutenue par le Théâtre Paris-Vilette, l’artiste sera accompagnée par Prémisses conjointement avec Sillages de Quentin Beaufils et Léo Ricordel, arrivé en seconde position dans les votes.


Site de Prémisses Production à retrouver ICI.



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