Détail d'un vase grec à figures rouges


conception


Flavien Bellec et Etienne Blanc






© Frenhofer


Vu le 22 avril 2025 au Théâtre de la Reine Blanche


                                    



“Roman des origines, origines du théâtre“


Faisant œuvre une nouvelle fois de la pitoyable existence de l’Artiste, Flavien Bellec et Étienne Blanc donnent une suite plus tendre et non moins brillante au très cruel Poil de carotte, Poil de carotte. Dans Détail d’un vase grec à figures rouges, la nouvelle cavalcade des déboires – trame introuvée, acteur·rice·s accidenté·e·s et public impitoyable – est constamment transcendée par un amour vif et vertigineux de la théâtralité.

Faut-il voir dans cette réécriture délibérément contournée et ratée de L’Odyssée un désir de retrouver non pas la trame mais la fougue narrative d’Homère ? Même si in fine, Détail d’un vase grec aura eu quelque chose d’épique — on finira par revenir aux origines, dans cette île grecque où Pénélope ne tisse plus sa toile mais où l’Acteur Vaniteux révise trop patiemment son Ulysse – ce n’est pas tant dans la fable elle-même que dans son énergie dramaturgique que le spectacle a quelque chose d’homérique. Bellec et Blanc trouvent en effet une équivalence théâtrale à la folie épique que l’on peut connaître au cinéma chez Quentin Dupieux, chez qui les seuils entre récits cadres et récits enchâssés sont toujours franchis, chez qui la hiérarchie entre la grande fable et l’anecdote est toujours renversée. L’extrême générosité  et fécondité théâtrale de ce vase grec se lit justement dans la productivité immédiate du détail. Chaque digression apparente n’en est jamais une puisqu’elle déplie sans signal un monde imprévu, un énième espace ludique qui n’est pas seulement désigné pour la blague mais qui est toujours, et très sérieusement, investi.

Ce grand pavillon noir à récits qu’est le théâtre semble alors ballotté tempêtueusement. Et si Flavien Bellec et Étienne Blanc – accompagnés au jeu par les fascinant·e·s Clémence Boissé et Solal Forte –  semblent avec ce fil beaucoup trop perdu se moquer et s’affranchir d’un public au regard cruel, ils·elles n’en donnent pas moins au spectateur·rice ce qu’il·elle est venu·e fondamentalement chercher. Détail d’un vase grec à figures rouges fait effectivement éprouver une loi fondamentale et singulièrement magique du théâtre. À savoir que rien ne peut négligemment et inconséquemment être raconté et cité sur une scène : au théâtre le dire est un faire, et nommer une chose, c’est toujours finir par la faire vivre et voir. Cela advient en tout cas quand une esthétique est vivement, et pas grammaticalement, performative. Celle de Bellec et Blanc est de celles-là, car derrière l’apparence négligée de la forme perce un travail maniaque du présent et la recherche d’une raillerie autoréférentielle qui ne tourne jamais à l’ironie complaisante. Et parmi la dérision systémique qui irrigue le jeune paysage créatif, où l’humour est trop rarement pris au sérieux, cela est d’autant plus homérique.





Pierre Lesquelen, 19 mai 2025.



D'après L'Odyssée d'Homère

Concetion Flavien Bellec et Étienne Blanc

Avec Flavien Bellec, Étienne Blanc, Clémence Boissé et Solal Forte


︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés