ET POURTANT J’AIMERAIS BIEN TE COMPRENRE...


écriture et mise en scène


YURI YAMADA






© Kengo Kawatsura

Vu à la maison de la Culture du Japon (Paris), dans le cadre du Festival d’Automne - 8 novembre 2022


                                    

“Encore un petit pas pour l’homme“



Dans le cadre du festival d’Automne à Paris, l’autrice et metteuse en scène Yuri Yamada présente pour la première fois en Europe son spectacle Et pourtant j’aimerais bien te comprendre…

Deux bonnes accueillent le public qui s’installe en salle. Rien ne dépasse de leur uniforme aux plis impeccables, identique jusqu’à l’absurde. Piste de la sororité mise à part, difficile de pousser plus loin le rapprochement avec la pièce de Jean Genet : d’abord muettes, ces bonnes-là sont tout en sourire et salutations polies, tout en gestes saccadés, encore plus rigides que leur drôle de coiffure-bâton. On retourne volontiers leur sourire dans la salle. Quelle autre attitude adopter face à cet éternel idéal féminin de servilité joyeuse ? Yuri Yamada maîtrise à la perfection l’art de l’entrée en matière, et l’on devine que son sourire à elle, présente dans la salle ce soir-là, est un peu différent.

Rapidement, un autre détail coince : le salon où se déploie la fable renvoie l’image proprette  d’une brochure de magazine. La maison de papier glacé abrite d’étranges poupées qui ne tardent pas à acquérir toute leur dimension ibsénienne : la présence des bonnes échappe totalement à Kô, seul protagoniste masculin de ce huis-clos aux couleurs pastel. L’étrangeté de cette présence ne déteint naturellement pas sur sa compagne Teru, qui est ici chez elle. Quoi de plus normal quand les bonnes ne sont que les agentes rendues visibles du travail domestique qu’elles accomplissent quotidiennement. C’est par ce faisceau inventif qu'apparaît le plus clairement le prisme féministe de la fable : entre deux tasses de thé, le jeune couple se trouve bientôt confronté à des questions qui n’ont encore rien d’une évidence au Japon. C’est alors qu’un grain de folie vient imperceptiblement enrayer la mécanique qui ce joue dans petit salon dont le réalisme se fait plus magique. La maison de poupée devient théâtre d’ombres, où bientôt se profile les silhouettes d’autres possibles…

Certes, le fond du propos sonne plutôt politiquement correct, en ce qu’il ne fait pas beaucoup plus que reposer dans tes termes lisses et polis les questions débattues par le féminisme français depuis plusieurs années au moins. Mais, de même que la piqûre de rappel n’est jamais nocive, il ne faut pas oublier que parler du désir d’enfanter et de son absence, du viol conjugual et de l’inégale répartition des tâches domestiques n’est pas une mince affaire dans un Japon où en juillet 2018, la députée du parti au pouvoir Miro Sugita qualifiait les personnes gays et lesbiennes de “non productives”. Yuri Yamada embrasse volontiers cette absence de radicalité, rappelant lors d’un temps d’échange avec le public à la fin de la représentation qu’elle a créé cette pièce à 27 ans, encore toute tiraillée entre son éveil fémininiste et le poids de son éducation traditionnelle. Elle argue aussi dans un entretien qu’il était pour elle “hors de question d’exposer une adversité entre hommes et femmes”. Peut-être est-ce pour cela que nous avons du mal à savoir si le jeu rendu presque « hystérique » de l’amie de Teru (qui ne manque pas de pointer les manquements du cher et tendre compagnon masculin, et dont les cheveux forment deux cornes diaboliques) est la caricature maladroite d’un féminisme qu’elle juge trop radical, ou bien le commentaire ironisant du portrait qui en est fait par ses détracteurs…

Les couleurs pastel du salon annonçaient le camaïeu subtil d’une esthétique et d’une écriture qui n’en demeurent pas moins subversives quand la conversation d’amoureux se nuance de non-dits, et prépare le terrain au renversement. L’incommunicabilité des sexes se devine entre les mots ré-ingurgités avec l’eau du thé. Alors que Kô fuit le conflit, une violence s’ourde entre les quatre protagonistes féminines de la maison, qui ne sont que les faces complémentaires d’une même femme. Les chignons se crêpent avec une fantaisie qui permet de faire advenir le retournement final, qu’il convient de ne pas révéler ici. Et si on essayait un peu, beaucoup, jusqu’à la folie, de se mettre à la place de l’autre ? Une réponse ? Pas du tout. Un débat ? À coup sûr, passionnément.



Emma Delon, 21 novembre 2022





Distribution

Texte et mise en scène, Yuri Yamada

Avec Minami Ohba, Masayuki Yamamoto, Mayu Sakuma, Konomi Otake, Misaki Yatabe

Musique Yuumi Kanemitsu

Scénographie Tomomi Nakamura

Lumières Kazuya Yoshida

Son Yuji Tsutsumida

Costumes Kyoko Fujitani, Daiki Yamaguchi

Assistant mise en scène Yasushi Kurotaki





    ︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés