LE CONCERT CHOPIN

conception


VOLODIA PIOTROVITCH D’ORLIK






© Mathis Calzetta

Vu au Théâtre de l’Aquarium le 21 avril 2023


                                    

“Aquarium Chopin“



Volodia Piotrovitch d’Orlik cherche ce que peut le théâtre, face et avec une pièce de musique, ou plutôt deux en l’occurrence : la quatrième ballade puis le deuxième concerto pour piano de Chopin, interprétées par Mathis Calzetta. L’approche du problème est des plus inhabituelles et intéressantes, mais aussi périlleuses : il ne s’agit pas ici de fabriquer une théâtralité à partir de l’esthétique-Chopin, de la biographie-Chopin voire du mythe-Chopin, mais de créer par le théâtre les dispositions à une écoute de la musique-Chopin.

Comment effacer de la scène du concert toutes les préfigurations fantasmatiques où le pianiste va se trouver pris au piège et la musique captive ? Comment déjouer les attentes déplacées des spectateur.ice.s qui s’attachent à la performance technique, et oublient « la musique qui est au-delà de la terre » ? Travailler la disposition, l’attention. Le projet de Volodia d’Orlik n’est pas sans précédent. Que l’œuvre théâtrale prenne en charge et affecte les dispositions du public, c’est bien ce que Brecht pense avec la Verfremdungseffekt. Cet “effet-V“ - on préfère ici la terminologie de Frederic Jameson à la traduction malheureuse de distanciation - se fonde sur le jeu d’acteur.ice, sa rythmique, sa gestuelle pour attirer l’attention sur un détail singulier. Cette technique de jeu est une réélaboration de la notion d’ostrananie de Victor Chklovski, qui désigne le changement de perspective par une technique d’écriture. Pour raviver notre attention ou changer notre perspective sur la musique, Volodia d’Orlik mène son travail par une hypothèse très difficile, qui ne passe ni par le jeu d’acteur.ice ni par des opérations narratives. Ouvrant le spectacle, Volodia annonce la structure de la pièce :  trois parties puis le concert chopin. Il s’installe assez rapidement dans le public. Depuis un fauteuil du premier rang, face à la scène de concert – un piano à queue, et les quatre chaises vides d’un quatuor qui ne viendra pas- la préparation au concert se construit sur une heure et demie. S’y entremêlent des développements autour de motifs de Godard et Duras sur l’impossible composition avec la musique, vecteur excessif d’affects, l’histoire du projet apparu entre Nicolas Mizen, Matthis Gelzen et Victor d’Orlik  à la recherche d’une nouvelle théâtralité qui renouvellerait et ouvrirait l’audience de la musique-Chopin, mais aussi l’éducation musicale de chacun, en particulier le labeur du pianiste Matthis Gelzen pour faire face au requisit intransigeant de la technicité du répertoire de Chopin. Ce dernier aspect sert de contrepoint à l’exaltation musicale, et nous sentons que ce spectacle se construit aussi comme un refus de l’affectivité par la musique, une crainte de ce qu’elle emporte. D’où une réaction presque matérialiste : la réalité technique du jeu au piano, la scène du concert qui s’expose.  Mais paradoxalement, cette première partie amenant au concert produit davantage d’atttente que d’attention. Plus précisément, elle produit une attente épuisée, qui peut rendre difficile la détente nécessaire à l’attention. Car la première partie demande également une attention très soutenue, pour fonctionner dans l’identification et l’empathie avec les protagonistes de ce projet. Le moment du concert nous place alors dans une posture compliquée, puisqu’ayant été l’objet de tant d’attentions, on ne peut craindre que d’en être déçu.e.s, et que le réel soit comme toujours ailleurs que l’idéal, fût-il déconstruit de toutes parts. Il y aurait là une loi à vérifier : disposer une attention requiert d’en passer par des subterfuges, des détours, une dépense d’énergie en pure perte, en somme ce qui relève d’un divertissement.

Cette recherche sur la disposition se mène également sur un autre plan que le jeu ou la narration. Edith Biscaro fait ici un magnifique travail sur les lumières et les ambiances, et qui fonctionnent à merveille avec le rythme de la narration de Volodia d’Orlik. Par des variations de couleurs ou d’intensités, quelques changements et contrastes qui nous rappellent à cet espace non-vide que nous regardons, le travail diabolique d’Edith Biscaro opère sur notre perception, et rythme littéralement pour nous ce temps qui s’étire jusqu’au concert, c’est-à-dire qu’il le fait exister.

Volodia Piotrovitch d’Orlik rapporte que Chopin jouait peu en concerts, peu à l’aise peut-être avec ce dispositif spectaculaire. Il préférait les improvisations au salon pour les ami.es. Ce détail laisse imaginer un autre paysage pour le concert de fin, en faisant un pas de côté du dispositif public/scène, un pas de côté qui nous amène juste à l’entrée du Théâtre de l’Aquarium, en ce début de printemps, à cet endroit qui offre une respiration dans le rythme invivable de la ville.




William Fujiwara, 22 mai 2023. 




Distribution 

Concepteur, auteur, acteur Volodia Piotrovitch d’Orlik

Pianiste Mathis Calzetta

Créatrice lumière et sonore Edith Biscaro

Production Orchestre de Chambre de la Drôme

Coréalisation Les Aires, scène conventionnée de Die et du Diois

Soutien en résidence de création La vie brève – Théâtre de l’Aquarium


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