DEUX HOMMES
conception
CIE TOUS CROIENT TOUJOURS
© DR
Vu au Nouveau Gare au Théâtre, dans le cadre du festival Actée, le 12 mai 2023
“Bêtes de scène“
Dans la première partie du diptyque, intitulée Rage, un jeune homme vêtu d’une chaquetilla noire - la version sobre du costume de lumières pour un jeune torero - fait son entrée en scène. Il se place à l’orée de la piste, qui est aussi le chemin vers sa rencontre avec le taureau après le départ de son village natal.
Mais ses pieds, qui frappent le sol avant la mise en route et la traversée qui s’annonce, évoquent d’emblée le trouble entre la marche du torero et la frénésie du taureau s'apprêtant à rentrer dans l’arène. Si elle ménage des endroits d’indétermination et de progression, la greffe entre l’homme et l’animal opère tout de suite. La construction du geste et de la langue s’entend et se voit, et c’est paradoxalement cet artifice qui tisse l’organicité du spectacle. La diction comme l’écriture portent en elles une forme d’étrangeté, une bizarrerie qui fascine, force à tendre l’oreille. Inspirée par les Complaintes Gitanes de Federico Garcia Lorca, Louise de Bastier qui signe le texte et la mise en scène du spectacle se montre créative dans l’évocation des figures du torero et du berger, en faisant entendre une langue qui claque, qui bêle, qui s’échappe parfois du sens pourvu qu’elle sonne.
C’est surtout la beauté du geste qui fascine. Le processus créatif s’est nourri d’allers-retours entre les phases d’écriture et le travail chorégraphique au plateau, pour faire surgir la danse à partir de ce qui se dit et de mouvements du quotidien, tels que la mise en route. Durant la trentaine de minutes que dure la traversée de Rage, la présence hypnotique du comédien Matteo Renouf et la technicité de la partition physique qu’il délivre chargent le plateau d’une intensité peu commune. Elle tient au fait que la chorégraphie du geste et l’étrangeté de la parole arrivent à captiver pour ce qu’elles sont, sans jamais que la physicalité n’écrase toute forme d’évocation poétique. Les images fabriquées frappent l'œil et les sens: un fruit juteux qui coule le long du bras du torero et forme comme un rideau d’eau rappelle discrètement la muleta que le matador utilise pour faire ses passes ; le dos du comédien encorné s’arc-boute, déployant en même temps qu’il cristallise l’effet de l’impact.
Après un intermède musical porté par une créature hybride rappelant vaguement un faune mythologique, c’est avec fantaisie que l’on glisse, intrigués, vers le Désespoir. Non plus un mais trois comédiens entrent en piste, trois bergers changés, ou changeant, en moutons. Ces métamorphoses permises par le théâtre physique et l’animalité de l’élocution se prolongent, se déploient comme autant de vignettes mouvantes. Elles jettent dans l’esprit les images d’un ballet-rencontre trouble, où l’on s’amuse finement de ce que la bête se fait homme et de ce que l’homme devient bête.
Emma Delon, 22 mai 2023.
Distribution
Texte et mise en scène Louise de Bastier
Avec la collaboration de Rachel de Dardel et Matteo Renouf
Avec Théo Adell, Louis Affergan, Matteo Renouf et Marie Laplane
Dramaturgie Rachel de Dardel
Scénographie Olga de Bastier
Lumières Oriane Trably