LE NID DE CENDRES

écriture et mise en scène

SIMON FALGUIÈRES




© Christophe Raynaud de Lage


Vu au Festival d’Avignon (IN) - La Fabrica -  16 juillet 2022


                                    

“Histoire qui tue”



L’image de départ était intrigante : deux hémisphères d’un monde scindé, telles deux moitiés de pomme, flottant dans la grande marmite cosmogonique. Une quête : celle de les réunir et de rétablir l’équilibre grâce à l’amour de deux enfants nés sous des étoiles contraires, nous annonce la conteuse en robe de velours rouge qu’on croirait taillée dans un rideau de théâtre - un mauvais présage. 

Simon Falguières n’a pas tenté de se défaire des rets de « l’histoire-qui-tue », dirait la grande conteuse de mondes Ursula Le Guin. C’est rare, et long pourtant, treize heures de spectacle pour réinventer un monde, un théâtre, treize heures qui auraient pu être consacrées à chercher, « avec un certain sentiment d’urgence, dit-elle encore, le sujet et les mots de l’autre histoire, celle qui jamais ne fut dite, l’histoire-vivante ». En vain, car si la charpente de l’édifice théâtre-monde est pourrie, les structures narratives poussiéreuses sont encore solides.

Pas question de se débarrasser de la saga du Héros, à l’arc narratif tendu vers un but sans équivoque, dans une fable sans suspense. Un Héros qui a le pouvoir et édicte ses lois, qui fait plier les histoires alternatives. Ici Gabriel, nourrisson abandonné dans la fuite d’un monde qui s’écroule, enfant de la balle, puis patriarche amer de la troupe de théâtre ambulant qui l’a recueilli. Les comédien.nes travaillent sans relâche à monter les classiques. Même quand la violence détruit tout, subsiste une certaine vision de l’engagement pour l’avenir, avec la roulotte du théâtre pour ultime refuge. Alors, Gabriel sauvera les mondes mais il ne nous était pas vraiment permis d’en douter, malgré les efforts louables du Diable pour faire échouer l’affaire.

Le monde onirique du Nid de Cendres est fade et convenu, voire problématique tant les relations de domination, de pouvoir et de classe ne sont jamais remises en cause : il y a une cour en jabots, des médecins incompétents, des jardiniers semi-idiots qui font des fautes de syntaxe, une nourrice qui épluche des courgettes à l’infini dans le monde des limbes. Le destin du monde des contes, qui ne fait guère rêver, croise celui d’un monde plus proche du nôtre, dévasté par un grand incendie et rebâti, car il semble inéluctable que la « roue des masses humaines » se remette en marche. Néons blancs et costumes noirs : la critique déployée dans le dernier « chant » de la classe politicienne qui réorganise l’institutionnalisation de la vie citoyenne dans la ville nouvelle est au degré zéro de la subtilité.

« Nous ne sommes que des pattes de mouche sur la page blanche du monde », dit à plusieurs reprises la princesse Anne face aux obstacles. Pattes de mouche ou figures abstraites dans une scénographie sans âme, les corps sont transparents, inexistants face au texte. L’emphase du verbe, soutenue sans variation tout au long du spectacle, homogénéise la langue des personnages ; quels que soient les mondes et les époques, ils parlent de la même façon, quand un peu de jeu, de friction dans le langage eût été bienvenu. Toute présence, toute forme d’incarnation sensible et sensuelle est annihilée dans la toute-puissance du geste épique que déploient les conteur.euses. Comment croire à l’amour dans ces conditions ?

Il est aussi ardu de croire en l’émancipation narratologique et féministe de ce nouveau conte-épopée. Aux personnages féminins sont dévolus les lamentations, les regrets et les sanglots bruyants. On pourrait même aller jusqu’à dire que dans cette histoire, les femmes sont victimes d’une forme de déni dramaturgique d’aventure. Une seule relation complexe entre deux femmes se dessine, quand s’établit un amour trouble entre Sophie, envoyée attendre dans les cendres de la ville qu’Anne traverse les mondes, à la fois princesse et fée marraine, prisonnière et geôlier, amies, amantes. Mais Sophie cède la place au Prince, tout rentre dans l’ordre de l’histoire déjà écrite. La princesse peut se couper les cheveux et embarquer un équipage féminin, ce ne sont en soi gages de rien. Elles ont leur Odyssée mais  elles y combattent des monstres imaginaires. Le bateau avance car il est poussé par les fantômes des frères, et une fois sur le navire, elles s’ennuient et songent aux hommes laissés à terre…

Derrière les hommages et les emprunts aux grands récits, aux grands poètes, niche la volonté de porter et se faire porter par un souffle magique, qui emporterait et réconcilierait le théâtre et le monde. Le texte de Simon Falguières multiplie les abandons, les adoptions, les pères de sang, les pères spirituels, comme si le cœur battant, trop bien caché de cette fable touffue était là, non pas dans les méandres d’un sauvetage cosmique peu subversif mais dans le questionnement de l’héritage, de la transmission. À la lueur tremblée et intemporelle des bougies, l’image finale voudrait faire du théâtre le lieu de la réconciliation et de l’espoir mais les pistes tracées ressemblent à de complaisantes visions qui sont autant d’impasses : une vie de saltimbanques sur les routes, une vie de clowns tristes en exil ou bien un théâtre qui croit être au cœur de la cité, à sauver sans cesse de la désertion et des flammes – alors pourquoi le rebâtir à l’identique ?



Pauline Guillier, 19 juillet 2022

    

Distribution

Avec John Arnold, Clémence Bertho, Layla Boudjenah, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Élise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar

Texte et mise en scène
Simon Falguières

Dramaturgie
Julie Peigné

Scénographie
Emmanuel Clolus

Lumière
Léandre Gans

Son
Valentin Portron

Costumes
Lucile Charvet, Clotilde Lerendu

Accessoires
Alice Delarue

Assistanat à la mise en scène
Ludovic Lacroix



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