ADIEU MES CHERS CONS
texte
ANNETTE GILLARD
texte
ANNETTE GILLARD
“Dans le cours d’une mutation“
Le festival Démostratif présentait au théâtre de la Pokop Adieu mes chers cons, un texte écrit par Annette Gillard et mis en scène par Sacha Vilmar. L’enjeu du spectacle nous place d’abord en porte-à-faux de la familiarité et de la hauteur amenée par le titre. Il s’agit d’une universalisation de l’affaire Gregory, tant dans son motif que de ses protagonistes.
Cinq personnes se rencontrent dans une forêt, forêt symboliste travaillée par les lumières de Cholée Agag et les décors d’Emmanuel Charles. Cette coïncidence n’a rien de fortuit, ces inconnu.es au premier abord sont lié.es par « l’affaire ». Les cinq personnages déploient les coordonnées d’un monde possible autour de cette affaire : la journaliste féministe, l’écrivaine médiatisée, la boulangère, l’ami proche de la famille de la victime, un anonyme enfin, lié à cette affaire par sa médiatisation sur le net. Chacun.e à sa manière a pris sa part à l’élaboration d’une justice dans cette affaire. Chacun.e a également pesé de son poids, par ses armes, pour imposer son idée de la justice. C’est une lettre qui les a amené.e.s à ce point de rencontre au cœur de la forêt. Ce sera désormais pour la suite du spectacle une voix impérieuse qui mènera cette confrontation des un.es et des autres, afin de lever le clair obscur de la conscience morale de chacun.e. Les cinq acteur.ices développent avec maîtrise les gammes successives qu’une telle situation force à parcourir : présentation de soi, naïveté feinte, dénégation, stratégie de coalition, rupture de tout socle d’évidence commune. Mais la Voix empêche toute échappatoire, elle fait un huis-clos de ce carrefour à la croisée des chemins errants. Les masques tombent, et finalement, le chantage et les menaces de la Voix ne visent qu’à coincer et pousser à l’aveu ces corbeaux en tout genre.
S’ouvre alors une deuxième partie, travaillée dans le style du jeu masqué - celui d’un corbeau évidemment. La perspective dramaturgique s’éclaircit. On pouvait hésiter sur le mobile d’une telle réunion. S’agit-il de réparer un tort, de mobiliser les différents points de vue sur un crime pour élucider l’affaire ? Décidément non. Car cette Voix qui emplit la salle de la Pokop de ses accents métalliques n’est pas la voix d’une conscience morale absolue. Au contraire, elle persécute les persécuteurs et persécutrices, les condamne au bûcher, les achève par la foudre et les terrasse par la terreur. Ce rocher ordinaire n’est pas donc pas le siège transformé d’une nouvelle justice appelée à réformer une institution judiciaire combien défaillante, c’est une place d’exécution. Le spectacle donne congé, d’une manière assez cruelle, à ces figures humaines du justicier, figures douteuses, pathétiques, mais également ambivalentes. Et par la technique du masque, mais aussi du grotesque, le spectacle vise et réussit à exprimer cette ambivalence avant l’éclat de leur mise à mort. Vis-à-vis de la cohérence de cette écriture dramaturgique, les quelques minutes d’ouverture du spectacle laissent songeur. Une brume envahit le plateau nu, tandis que, à la Bobby Lapointe, une voix chantonne Le mot de Victor Hugo, soit le chemin qu’un mot fait depuis l’émetteur du discours vers son référent, et dont le sillage constitue ce qu’on appelle une rumeur. Avec malice et légèreté, cette autre voix fait entendre les différents chemins sinueux qu’un mot emprunte. Comment, dans le registre du grotesque, faire entendre et voir ce chemin, qui n’est pas le même pour la journaliste, l’écrivaine, la boulangère, le frère de lait et le troll ?
Cinq personnes se rencontrent dans une forêt, forêt symboliste travaillée par les lumières de Cholée Agag et les décors d’Emmanuel Charles. Cette coïncidence n’a rien de fortuit, ces inconnu.es au premier abord sont lié.es par « l’affaire ». Les cinq personnages déploient les coordonnées d’un monde possible autour de cette affaire : la journaliste féministe, l’écrivaine médiatisée, la boulangère, l’ami proche de la famille de la victime, un anonyme enfin, lié à cette affaire par sa médiatisation sur le net. Chacun.e à sa manière a pris sa part à l’élaboration d’une justice dans cette affaire. Chacun.e a également pesé de son poids, par ses armes, pour imposer son idée de la justice. C’est une lettre qui les a amené.e.s à ce point de rencontre au cœur de la forêt. Ce sera désormais pour la suite du spectacle une voix impérieuse qui mènera cette confrontation des un.es et des autres, afin de lever le clair obscur de la conscience morale de chacun.e. Les cinq acteur.ices développent avec maîtrise les gammes successives qu’une telle situation force à parcourir : présentation de soi, naïveté feinte, dénégation, stratégie de coalition, rupture de tout socle d’évidence commune. Mais la Voix empêche toute échappatoire, elle fait un huis-clos de ce carrefour à la croisée des chemins errants. Les masques tombent, et finalement, le chantage et les menaces de la Voix ne visent qu’à coincer et pousser à l’aveu ces corbeaux en tout genre.
S’ouvre alors une deuxième partie, travaillée dans le style du jeu masqué - celui d’un corbeau évidemment. La perspective dramaturgique s’éclaircit. On pouvait hésiter sur le mobile d’une telle réunion. S’agit-il de réparer un tort, de mobiliser les différents points de vue sur un crime pour élucider l’affaire ? Décidément non. Car cette Voix qui emplit la salle de la Pokop de ses accents métalliques n’est pas la voix d’une conscience morale absolue. Au contraire, elle persécute les persécuteurs et persécutrices, les condamne au bûcher, les achève par la foudre et les terrasse par la terreur. Ce rocher ordinaire n’est pas donc pas le siège transformé d’une nouvelle justice appelée à réformer une institution judiciaire combien défaillante, c’est une place d’exécution. Le spectacle donne congé, d’une manière assez cruelle, à ces figures humaines du justicier, figures douteuses, pathétiques, mais également ambivalentes. Et par la technique du masque, mais aussi du grotesque, le spectacle vise et réussit à exprimer cette ambivalence avant l’éclat de leur mise à mort. Vis-à-vis de la cohérence de cette écriture dramaturgique, les quelques minutes d’ouverture du spectacle laissent songeur. Une brume envahit le plateau nu, tandis que, à la Bobby Lapointe, une voix chantonne Le mot de Victor Hugo, soit le chemin qu’un mot fait depuis l’émetteur du discours vers son référent, et dont le sillage constitue ce qu’on appelle une rumeur. Avec malice et légèreté, cette autre voix fait entendre les différents chemins sinueux qu’un mot emprunte. Comment, dans le registre du grotesque, faire entendre et voir ce chemin, qui n’est pas le même pour la journaliste, l’écrivaine, la boulangère, le frère de lait et le troll ?
William Fujiwara, 6 juillet 2023.
Distribution
texte et dramaturgie Léonor Ilitch, Félix Blin-Bellomi, Robin Birgé
mise en scène Léonor Ilitch, aidée d’Adèle Couëtil
interprétation Félix Blin-Bellomi, Adèle Couëtil
construction scénographie Sevil Gregory, Lien Robin
musique Louison Assié, Félix Chaillou Delecourt
lumière Louison Assié
création vidéo Ana Mejia Eslava