Œuvrer son cri

écriture collective
conception

Sacha Ribeiro

CIE COURIR À LA CATASTROPHE




© Marion Bornaz



Vu au Théâtre des Carmes dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, le 5 juillet 2024

                                    



“Fabriquer un rituel qui s’appelle théâtre“



La compagnie Courir à la catastrophe propose cette fiction : le théâtre des Carmes est fermé, menacé de destruction au profit d’un parking ou d’un supermarché, et un groupe se propose de l’occuper pour en défendre l’existence.

La fiction est pédagogique, et chacun.e apprendra les principes et techniques de base pour se lancer dans l’ouverture d’un squat. Une fois ouvert, le lieu devient le support de multiples projets – bibliothèque, maraîchage, ateliers de pratiques artistiques. Plus qu’un théâtre, ce groupe de jeunes gens rêve d’un centre social et culturel, dans le style des centres sociaux autogérés en Italie. Est-ce le signe d’un désintérêt pour le théâtre d’une compagnie animée de fortes convictions militantes ou le signe d’une extension du domaine théâtral ? Le spectacle nous laisse dans cette ambivalence, bien qu’un personnage nous livre un instant le projet de « fabriquer un rituel qui s’appelle théâtre ». La dimension ritualisante du festival d’Avignon (In et Off mêlés) n’échappe à personne. Alors, pour préciser ce que sera ce rituel, un autre personnage nous aide en précisant que « les images qu’on fabrique créent des précédents ». Images qui précèdent quoi ? Images qui précèdent l’action bien sûr, car l’image, toute imaginative qu’elle soit, livre déjà une possibilité dans l’esprit qui pourra s’actualiser dans l’action. D’où l’on tire du spectacle cette définition du théâtre : un rituel qui fabrique des images, images qui elles-mêmes créent un précédent pour de nouvelles actions. Ces images sont à la fois le poème Éloge de la dialectique de Brecht, la mise en scène de ce poème, la concertation sur le menu pour le sacro-saint dîner collectif, l’assemblée générale. Images venues à la fois du répertoire théâtral mais aussi de l’expérience collective quotidienne.

Mais la mise en scène et le jeu d’acteur.ices ne cherchent pas à appuyer l’image, souligner le moment où l’image est fabriquée. C’est à la fin de l’aventure, lors de l’expulsion du théâtre occupé, que l’enjeu du rituel se repose : trouver un rituel de sortie. Avec la fermeture du lieu, ce sont aussi des amitiés et l’horizon des possibles ouvert par la force de cette agrégation qui se ferment. À moins de trouver, par quelque sortilège, le moyen de sauver cet horizon et de le garder actif au-delà de cette fin inévitable. C’est bien un des sens de l’art de trouver par les figures et les gestes les moyens de garder en mémoire la singularité de ce qui a été vécu. Et que ces traces puissent être réactivées à d’autres moments, par d’autres. Sont convoquées ici les ritournelles mélodiques de Jacques Demy et gestuelles de Pina Bausch. Est-ce que cela suffit à faire que le rituel de sortie fonctionne ? Ces formes esthétiques font partie indéniablement de l’imaginaire de notre temps, mais arrive-t-on à se les approprier ? Le style de Demy permet de mettre en forme un adieu en déclaration d’amour. Mais la forme Bausch est plus difficile à suivre. Les gestes s’explicitent moins que les mots, et il nous manque ici l’élaboration qui permet de faire rituel à partir de cette ritournelle de Bausch. Le passé des formes artistiques ne forme-t-il pas ici un stock pétrifié de références ? Faudrait-il un peu d’iconoclasme violent pour redonner un dynamisme vital à ces formes reconnaissables en un clin d’œil ? Et que faut-il pour que ce qui est cité soit plus qu’emprunté, mais réapproprié, ré-assimilé dans une autre perspective, la nôtre, celle de ce théâtre occupé, théâtre fictif, mais théâtre réel des Carmes où l’on était pris dans cette semaine transitoire d’entre-deux-tours ?

C’est au début du spectacle que nous avons trouvé une réponse à cette réflexion. Après quelques portraits d’introduction à ce projet d’occupation illégale de théâtre, i.els arrivent dans le théâtre. Salle vide, plongée dans l’obscurité. Espace vide encore indécis quant à son usage, traversé par les rêves des uns et des autres. Puis les Pink Floyd sont joués à toute balle. Grande énergie qui alimente la mise en place du décor – bureau, table, châssis, meubles en tout genre. Mais c’est le temps suspendu de ces premiers pas et la reconnaissance progressive et temporaire de là où nous en sommes, qui se brouillent. C’est peut-être là où l’on se retrouve le mieux, davantage que dans la reconnaissance de tel ou tel artiste, dans ce clair-obscur où des esquisses passent chez chacun.e, jamais tout à fait les mêmes, mais jamais tout à fait autres. Œuvrer son cri : la tension est ici. Car un cri s’élance toujours dans une situation qu’elle cherche à dépasser, et tout cadre pèse, voire éteint, le cri qui surgit. Le cadre d’une scène obscurcie se prête bien à tendre l’oreille à ce qui bruit.



William Fujiwara, 11 juillet 2024
    


Distribution 

Écriture collective d’après une proposition de Sacha Ribeiro

Mise en scène Sacha Ribeiro

Avec Logan De Carvalho, Alicia Devidal, Marie Menechi, Simon Terrenoire, Alice Vannier

Costumière Lisa Paris

Régie lumière Clément Soumy

Régie générale Camille Davy

Vidéaste Jules Bocquet











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