Œuvres
d’après les écrits d’Edouard Levé
mise en scène
Pierre Florac

© Illustration de Œuvres d’Edouard Levé, éditions POL.
Vu au Lavoir Moderne Parisien (carte blanche) le 17 février 2025.
“Levé à voir imaginé“
Le 17 février 2025, Pierre Florac inaugurait un nouveau format de carte blanche au Lavoir Moderne Parisien. Avec les trois comédien.nes Élise de Gaudemaris, Gaspard Maume et Emmanuel Pic, ils ont exploré pendant un mois l'oeuvre d'Edouard Levé, pour en livrer une première forme théâtrale. Elle s'appuie principalement sur Oeuvres : « un livre décrit des oeuvres dont l'auteur a eu l'idée, mais qu'il n'a pas réalisées » selon les mots de Levé.
Parmi les 533 oeuvres qui constituent ce livre, une vingtaine sont réalisées, accompagnées de leur description. Certaines sont improbables, d'autres impossibles, toutes sont travaillées par une contradiction, que ce soit au niveau des éléments qui composent l'oeuvre, dans son mode de fabrication, ou dans le sens même de ce qu'est une oeuvre, et les critères par lesquelles on reconnaît qu'une chose est bien une oeuvre. La tension du livre passe dans l'écart entre la description d’une oeuvre et la lecture de cette description qui amène inévitablement à l'imaginer. Et l'imaginer, c’est déjà dans une certaine mesure la réaliser, en se confrontant aux différentes types de contradictions et de difficultés qui font de ce livre un protocole très mordant pour un gai savoir de ce qu'une oeuvre peut avoir comme effet.
Quel rôle la scène peut-elle jouer vis-à-vis du dispositif du livre ? Paradoxalement, le théâtre ne trouve pas sa place comme le lieu de réalisation d'une oeuvre dont le livre donne l'idée. Il y a bien quelques oeuvres qu'il est bon de voir pour les saisir et les apprécier. En ce sens, le théâtre complète et achève l'idée du livre. Mais créer l'oeuvre en la faisant voir prend le risque de tout aplatir en court-circuitant le travail imaginatif. On pourrait dire « j'ai fait Oeuvres de Levé » comme certains disent « j'ai fait la Thaïlande ». On se demande bien ce qu'ils ont vu là-bas, et nous n’aurions pas vu grand-chose ici. Et c'est dans les deux cas mal dit et mal fait.
Par un certain minimalisme qui résonne avec la tonalité de l'oeuvre de Levé, la mise en scène de Pierre Florac rejoue autrement la tension entre ce qui est montré, ce qui est décrit, et ce que l'on imagine. Le sérieux des comédien.nes peut surprendre. Leurs actions créent l'oeuvre avec une rigueur d'officiant, alors que l'esprit de Levé peut rapidement conduire au rire ou au sarcasme. Mais ce sérieux vaut surtout comme une retenue, puisque ce qui est créé est un essai, qui rate ou qui réussit – et les ratages de ce soir-là tombent à merveille pour ce dispositif. Il y a une description, souvent donnée en amont, et une série d'actions qui inscrivent cette description dans la durée de sa création. C'est cette durée qui manque inévitablement au livre. Chaque oeuvre se lit d'un trait, on la pense trop vite, de travers. La scène apporte cette durée. On essaie pour voir ce que ça donne, non pas sur la scène, mais dans l'imaginaire.
William Fujiwara, 5 mars 2025.