CRUDO Y PESADO


mise en scène


PIERRE-ANGELO ZAVAGLIA





© Anouk Maupu

Étape de travail présentée à l’Abri (Genève - Suisse) du 5 au 7 avril 2022


                                    

“Lumière noire“



Suite de fragments dont le sujet s’invite étrangement au plateau pour perturber le récit dont il est lui-même le chantre, Crudo y pesado (brut et lourd) propose, par un malin truchement théâtral, une forme réjouissante où le terrain des rêves contamine le documentaire.

Double peine pour le metteur en scène Pierre-Angelo Zavaglia qui prend l’avion pour visiter son pays d’origine, car le kérosène, pollueur en chef des airs, est un triste pharmakon pour le Venezuela, dont les sous-sols sont encore imbibés de pétrole « crudo y pesado », pour reprendre l’expression. Une richesse naturelle qui n’échappe pas aux lois du profit, puisqu’elle est surtout facteur de coercition, entre autres, géographique pour une population ballottée dans des conflits qui dépassent de loin la frontière nationale. La narration documentaire de Crudo y pesado s’écoule donc en compagnie du plénipotentiaire et moribond pétrole, qui, faute d’être la clef de voûte parfaite pour comprendre la situation géopolitique du Venezuela (si encore elle existe), devient une improbable allégorie sortie d’un baril (Bernat Bauzà), qui coagule et mystifie les témoignages des acteurs au plateau (Pierre-Angelo Zavaglia, Yoletty Bracho) et en vidéo. Quand il ne s’abrite pas dans une cachette de fortune (pour ressortir exactement où on l’attendait dans un mécanisme farcesque), le Pétrole gesticule et parle au moins pour trois : à l’image des opérations chimiques obscures qui ont mené à la création de l’or noir, alchimiste ou fumiste en herbe, il embarbouille avec talent ce qu’il illumine… « Ce pays est foutu », disent les Vénézuéliens — certains, du moins — car le pétrole, comme tout ce qui est convoité, complique tout — si bien qu’il est à la fois au fondement de l’amenuisement et de la « fabrication » de la liberté ; entendre ici celle du passeport, au centre de la dramaturgie, et que le Pétrole allégorique de Crudo y pesado reproduit dans une manoeuvre artisanale d’apprenti magicien, aussi risible qu’efficace.

Suite de fragments où toujours l’intime transpire le politique, le spectacle, avançant par indices sans jamais certifier de réponses, réussit à jeter de l’ombre sur la lumière d’un sujet qui l’innerve tout en le dépassant. S’il s’aligne à certains égards aux canons du théâtre documentaire, la matérialisation du Pétrole au plateau, sorte d’anti-coryphée fantasque qui inquiète le déroulement du récit, est d’autant plus originale qu’elle fournit un terreau pour l’imaginaire : parfois encore à l’état d’esquisse, les temps où l’enquête s’onirise, profondément déceptifs pour qui se rend à un spectacle à l’air presque conférencier, sont les plus excitants : alors une piste d’atterrissage au plateau prolonge la vidéo d’un avion qui déverse son kérosène en vidéo sur un chant du Pétrole en autotune — et le champ du témoignage rejoint le chant des rêves sous une même recherche politique et esthétique.



Victor Inisan, 3 octobre 2022



Distribution

Mise en scène Pierre-Angelo Zavaglia

Jeu Yoletty Bracho, Bernat Bauzà,Pierre-Angelo Zavaglia

Écriture Yoletty Bracho, Julien Meyer, Bernat Bauzà, Pierre-Angelo Zavaglia

Court-métrage Pedro Moreno Collaboration artistique Julien Meyer

Scénographie Salomé Guillemin

Costumes Marie Bajenova Lumière Théo Arnulf




    ︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés