Vâcarm de parole, les bras


conception


Pauline Weidmann






© DR

Vu au RING - scène périphérique à Toulouse, dans le cadre du festival Supernova, le 15 novembre 2024


                                    



“La Geste de la Parole ou la Tragédie du langage“



Pauline Weidmann propose d'accepter au travers d'elle le monde tragique dont on procède par le dépassement des catégories artificielles du logos. Tragique parce que fatalement, ça dépasse, ça ne rentre pas dans les mots ni dans aucun principe apollinien de la représentation. Ça arrive avec son gros ça. Ça nous prend et après, débrouille-toi avec ça.

Elle a l'air d'une femme un peu perdue, à côté de ses pédales musicales et de son micro, au semi-lointain, décentrée par rapport à l'assise du public. Le corps dans l'espace raconte quelque chose comme de la timidité, ou de l'inconfort d'être là ou encore de l'écrasement, du découragement. Peut-être est-ce à l'idée que, de manière imminente, il va falloir se faire comprendre, puisque maintenant le public est là, assis, tout ouïe, conditionné à recevoir du discours construit.  La fatalité, elle n'en dit rien mais elle l'a chevillée au corps : maintenant que vous êtes là, en quelque sorte, ça commence. Elle semble poussée par les évènements, agie par le monde et foutue, là, accablée de non-dits mais réquisitionnée par le présent, cette temporalité tragique qui semble annoncer qu'il faut y aller, quand i faut y aller. Comment dirais-je, les mots s'échappent, ça commence mal mais c'est comme ça que ça commence ; d'abord il faut répondre, à l'idée que, globalement, c'est rompu, c'est fini - ce n'est pas clair et on ne sait pas  si on voit bien de quoi elle parle. De temps en temps, elle s'en assure. Vous l'avez  ou pas ? Vous voyez ?

Sa clownerie de la désorientation installe une tension déceptive :  pour elle comme pour nous, l'horizon d'attente serait, idéalement, celui du langage comme un objet de communication efficace et d'un corps au maintien assuré, bien dans ses baskets et qui ne laisse transparaître que les effets choisis délivrant des significations;  mais le sur-langage et la sur-posture se dressent comme un mur et nous sommes, tous ensemble, de l'autre côté, du côté fouillant, bafouillant, farfouillant, trifouillant, dans l'indompté du langage, dans l'ô combien signifiant  « langage corporel ».  Les déchets, les mots pour un autre, la latence, les faux départs du discours, les souffles coupés, les raclements de gorge, les mimiques de gêne, d'agacement, de malaise, les grimaces, les affaissements de la posture, les regards de l'effondrement ou du désir, les lapsus gestuels ;  de tous ces signes dont on dit qu'ils nous trahissent, elle tisse un poème vocal, gestuel, musical, phénoménal, en-deçà ou au-delà du logos, qui parle sans dire, en retrait du dire ou au détriment de dire quoique ce soit. On pourrait dire surréaliste, mais non. On pourrait dire déconstructiviste, mais non. L'architecture même du langage est en miettes. Avec cet infra-langage qui trahit l'intériorité, elle raconte son état, la vérité déboussolée de son être non domestiqué par le langage, le style ou la représentation. Elle espère se faire bien comprendre par les fuites au « bien se tenir » et finalement, on l'a, on voit, on la comprend, on saisit. Se tenir droit, tenir sa langue, tenir un discours, tenir à quelqu'un.... Il y a, je crois, dans sa fracture entretenue avec  la « tenue » et le « maintien », quelque chose du désir dionysiaque d'être comprise sans les mots et qui relève, je crois, du rêve d'amour. Ce qui compte, in fine, c'est vouloir, pas vouloir voir ou vouloir dire ; vouloir : ça parle de soi, ça veut ou ça ne veut pas.  On en est là, au cœur du dilemme. Ça veut ou ça ne veut pas ? Elle nous emmène . Mais on est-où, là ? On est où ? répète-t-elle, avec malice. On ne sait plus, c'est le vertige du poème brut.

Nous sommes éjectés de la logocentrifugeuse :  des oh, des ah, des bruits de bouche, des oh lala, des bien hein ?,  des silences, des cigarettes roulés fébrilement, des yeux mouillés, des fuites du regard pour ne pas avoir à discourir, pour rester un peu avec elle:  elle nous a transmis son état, comme par une onde. Nous sortons de la salle, égarés. Mais qui est cette jeune extraterrestre ?!, dit une femme.  C'est vrai, il y a des artistes qui forment des mondes qu'on ne voudrait jamais quitter parce que la reprise du réel paraît vaine. Pauline Weidmann est de ceux-là.




Anne-Laure Thumerel, 6 décembre 2024.
    


Mise en scène, chant et interprétation Pauline Weidmann



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