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texte et mise en scène



Nicolas Barry






DR

Vu au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, le 12 juillet 2025.


                                    



“L’art de se perdre“




Nicolas Barry déclare l’amour comme une nouvelle façon d’être qui rend impossible de se prémunir de l'autre : l’amour déprogramme tout. Il laisse exister  et donne à voir de l’être-éperdu, un figure incontrôlée du moi, libérée du postulat individualiste de la construction de soi.

Nicolas Barry entre en scène et rejoint le centre du plateau, paré à déclamer. Mais à peine s'est-il présenté face à nous que la façade technique de l'acteur et le fruit de la répétition théâtrale s'effondrent. Il est à nu, sans masque symbolique. Il cherche ce qui pourrait donner consistance à sa présence dénudée : une posture « d'assurance » étudiée à l'avance, quelques mots préparés sur un papier... Rien n'y fait, les gestes prévus pour l'occasion font gauche et le papier fait défaut : la préhension du vide est là. Le vol au dessus de son propre effondrement commence. Il se jette à l'eau en faisant avec ce qu'il a sur le moment : son corps, sa mémoire et tout ce qui s'agite à l'intérieur. En quelque sorte, il redouble de présence en la mettant en crise.

C'est dans l'hyper-acuité de son corps-esprit travaillant la difficulté d'être présent qu'il se tient en écho avec une furieuse source du désir, John. Il perd tout : ses mots, la mémoire des prénoms, le fil de sa pensée, pied et face parce que John désorganise tout et le place dans un état de déperdition. Décontenancé face à John, ôté à lui-même, il se liquéfie et fuit littéralement, c'est-à-dire qu'il passe ses larmes, ses mots et son énergie par dessus bord. Au bout de lui-même, bouleversé au sens physique et organique du terme, il est pénétré de John au point que celui-ci provoque sa décontenanciation.

Nicolas Barry propose un état de corps et de langage en résonance : il donne accès à la manifestation de l'être éperdu, de l'être troublé, modifié par un autre. Il présente son corps et son état psychique déprogrammés, perturbés et sensibles à ce qui lui arrive lorsqu'il est touché voire possédé par l'être qui le traverse de désir. Si le titre de la déclaration d'amour peut mettre sur la piste de réception thématique d'une traditionnelle fusion romantique qui œuvrerait à l'union absolue et douloureuse de deux êtres ou de la disparition de l'un par désir pour l'autre, il nous semble que la proposition attire plutôt notre attention sur le vécu physique, émotionnel et idéologique de l'être-désirant, l'être-amoureux, qui a l'art et le courage de parvenir à faire entrer en soi un autre. L'écriture de Nicolas Barry offre un écho novateur à cette figure non-individualiste (non close sur elle-même) de l'être pénétré, traversé de désir et percuté par la singularité d'autrui. Son corps ne rompt ni de disparaît, au contraire. Il est rempli, débordé, agité ; il est gorgé d'un autre et mouille. C'est un corps démaîtrisé en relation non-calculée qui parle, exulte, jaillit et jouit et qui se tient en capacité de recevoir la vague de désir que l'autre lui provoque. C'est un être qui se tient en lien jusque dans l'engloutissement et qui se répand. Nicolas Barry nous laisse donc songer à une expérience de la perte de soi dans la rencontre avec l'autre selon un débordement, certes, mais qui serait transformateur et démultiplicateur de la sensation de soi. L'expressionnisme de son écriture laisse apparaître ce mouvement vital qu'est celui de la surprise de l'autre (physique, émotionnelle, symbolique) et présente un « je » amoureux et courageux capable de prendre en lui cette rencontre et d'en ressortir encore plus vivant, c'est-à-dire traversé.




Anne-Laure Thumerel, 22 septembre 2025



Texte, mise en scène et interprétation Nicolas Barry


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