Une autre vie


écriture et mise en scène


Myrthe Vermeulen






© DR

Vu au Festival RITES le 7 novembre 2025 


                                    



Psychopompe la vie




Une autre vie ouvrait au lavoir moderne le festival RITES organisé par la compagnie Actus tragicus. RITES vaut pour Rencontres Indépendantes du théâtre émergent. C’est aussi une possibilité pour invoquer d’autres vies, celles qui nous fascinent, nous attirent et nous aspirent. Celles qui nous renvoient un plus haut degré d’intensité de la vie, de façon bien paradoxale car cette autre vie, ce n’est pas la nôtre, et pourtant.

Myrthe Vermeulen a écrit son Autre vie à partir de celle de Christiane Felscherinow et de sa meilleure amie Babsi qu’elle évoque dans son best-seller Moi, Christiane F. Avec Élise de Gaudemaris, elles jouent tour à tour Christiane F. et son amie Babsi. Ou plutôt ce jeu de rôle passe par Eva Maes, un être fictif qui comparaît devant nous avant son exécution pour atteinte à l’intégrité de l’œuvre de David Bowie, responsable dans le roman de la première prise d’héroïne par ladite Christiane F. Entre les personnages réels et ceux imaginaires, on s’y perd un peu, mais là n’est pas le plus important justement. Car l’autre vie ne distingue pas une vie réelle vécue et une autre vie rêvée. Toutes sont vécues et rêvées ou délirées, reste à savoir le chemin. Si l’intensité de vie que Christiane F. trouve d’abord dans les médicaments puis ensuite dans les drogues de synthèse nous fascine, elle appelle non pas forcément une imitation, mais plutôt une transposition ou une correspondance. Face à la drogue, en miroir de la drogue, c’est le théâtre qui offre le chemin d’une réalité intensifiée pour Myrthe Vermeulen. Avec Elise de Gaudemaris, ni tout à la même, ni tout à fait une autre, elles se passent les personnages, leurs histoires, leurs familles, leur destin. Cette figure de l’actrice comme psychopompe – passeuse d’âme en long, en large et en travers de la scène – en convoque d’autres, comme ce Monsieur Dézert invoqué par Lionel Dray ces dernières années. Dans les deux cas, les âmes sont guidées sans mystique grandiloquente, sans transe laborieuse, mais avec joie, en jouant ici ou là avec l’image photographique, l’enregistrement de la voix ou des masques et autres objets. Autant d’auxiliaires rituels par lesquels faire passer ces âmes, sans se prétendre soi-même trop magicien.nes.

Assez cruellement, l’avatar Eva Maes, dont la condamnation à mort correspond à la fin du spectacle, joue une partie perdue d’avance, et nous sommes nous-mêmes à la place d’un jury impitoyable. Le rituel se dessine progressivement. Il s’agit de redonner la parole à Babsi, faire résonner sa voix à elle, l’inconnue de l’histoire, la meilleure amie de Christiane F., perdue trop tôt.  « Il faut nous donner une place » crient les camarades de Christiane F. : une place à elles, figures marginales vouées à la transe, aux voix qui hantent, aux daïmon inspirants, mais aussi à la  pulsion de mort qui œuvre silencieusement, sourdement, devançant toute précaution et tout conseil, si on ne lui donne pas une place pour la voir et l’entendre. Une place plus qu’une position : une scène.



William Fujiwara, 6 décembre 2024
    


texte & mise en scène Myrthe Vermeulen

avec Élise de Gaudemaris, Myrthe Vermeulen

collaboration artistique Maïa Godin Hadji-Lazaro

voix enregistrée Jeanne Fuchs

création sonore David Percy

production Compagnie Les Pleureuses


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