I’M DERANGED


écriture et conception


MINA KAVANI




©  Laura Severi
Vu au théâtre de l’Athénée (salle Bérard) - 12 octobre 2023

                                    

“Le théâtre a ses raisons”



Parfois on imagine mal les récits d’exil et de souffrance transmis plein-feux, face au public, de peur peut-être qu’il se trouve aussi démuni que celui qui le transmet. Im deranged, premier spectacle de l’autrice, metteuse en scène et actrice iranienne Mina Kavani, à rebours des solos qui forcent le coup de poing , a la pudeur de se déployer de manière oblique et picturale, l’histoire personnelle de l’actrice traçant une ligne de fuite dans une série de tableaux intimistes tout en clair-obscurs.

Elle est seule et pourtant, dès le début, découpée en deux, par les panneaux en vinyle de la scénographie, et par le récit qu’ils symbolisent : elle est à la fois en Iran, brimée par la République Islamique mais libre à ses heures, souvent la nuit, festive et interlope ; et en France, libre d’être actrice comme bon lui semble, et de jouer les scènes qu’elle veut, mais brimée par le poids de l’exil. Le spectacle avance avec la sensation d’être nulle part chez soi qui va crescendo : la musique prend au coeur, les panneaux se rapprochent, Paris comme l’Iran deviennent plus monstrueux l’un que l’autre… « I’m deranged », chanson de David Bowie chère à David Lynch qu’on entendra au terme du spectacle seulement, était bien programmatique : entre deux pays, deux versions de soi, un dérangement, voire une schizophrénie s’installe… Si bien que lorsqu’elle joue tous les personnages de sa vie, scandant des « il dit » et « elle dit », nous perdant presque dans le labyrinthe des discussions familiales, ce sont aussi les voix dans sa tête qui grouillent : comment sortir du marasme infernal, comment ne pas imploser ? Elle se tourne face à ses oppresseurs, extérieurs et intérieurs, mais rien n’y fait — ou du moins pour un temps.

En effet, « I’m deranged » est aussi une ode à la scène, car seul le théâtre, pour l’actrice, a été en mesure de poser le baume, de fournir un antidote, non seulement à la douleur de l’exil - la passion lui donne la force de continuer, bien sûr -, mais aussi au morcellement de son identité : sur les planches, un monde sans frontières et coercitions existe pour un temps, et les identités sont de simples intensités d’être… Le théâtre recolle littéralement les morceaux du moi, de sorte qu’il est, à travers ce solo, un acte performatif aussi simple que puissant qui permet de rapprocher deux mondes que tout auparavant séparait. Si la forme est un peu empêchée par le lieu de représentation — la petite salle de l’Athénée dans notre cas, dont le cachet à l’ancienne a parfois tendance a décatir avec lui l’esthétique et la dramaturgie —, elle réussit, loin de toute moralisation ou pathétisme, à maintenir une grande pudeur de composition, ici gage d’exigence et d’honnêteté artistiques.



Victor Inisan, 26 octobre 2023.
    

Distribution 

Écriture, mis en scène et interprété par Mina Kavani

Composition musicale Siavash Amini

Scénographie Clémence Kazémi

Création lumière Marco Giusti

Régie lumière et régie générale Pierre-Eric Vives

Artiste sonore-son Cinna Peyghamy

Collaborateur artistique Maksym Teteruk





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