VERS LE SPECTRE


écriture et mise en scène


MAURIN OLLÈS





© Lucas Pale

Vu au Théâtre treize  - 12 octobre 2022 


                                    

« Quitte ou trouble »



En créant Vers le Spectre, Maurin Ollès et sa compagnie La Crapule assument le choix d’appréhender l’autisme par ceux qui le vivent de l’extérieur. Le code du réalisme scénique permet de mesurer la circonférence sociétale et politique des questions qui se soulèvent. Jusqu’à oublier ce qu’il reste d’original et de singulier dans le discours et le traitement qui s’en élabore.

Tentative périlleuse que de circonscrire le sujet de l’autisme dans une forme réaliste dont le propos de fond est un discours éminemment -et évidemment- politisé sur la nécessité d’une  évolution des consciences, d'une prise en charge plus adaptée, d’une augmentation des moyens. Une constellation de personnages défilent autour d’Adel, jeune garçon atteint de troubles du spectre autistique : ses parents, son institutrice, son éducateur, son infirmière. Oui, le politique a des répercussions sur l’intime: le couple des parents noyé dans le faste des démarches administratives, la maîtresse démunie face à ses élèves à qui il faut tout-à-coup parler d’autisme, l’éducateur spécialisé et l’infirmière se font sévèrement rabrouer par leur hiérarchie à la moindre tentative non protocolaire… Tout cela se déploie avec une lucidité certaine, dynamisée par les transitions rapides entre les scènes grâce à des acteurs habiles qui circulent sensiblement entre les registres et les personnages. Si le code du réalisme scénique lasse à force de prévisibilité, il ne procède pas moins une dramaturgie efficace, qui opère par jeu d’ellipses temporelles et pans de scénographie modulables, coupant l’herbe sous le pied à l'assommoir édifiant qui se profilait à grand pas.

Débroussaillé aussi l’excès de glose, avec une certaine fantaisie humoristique qui enjambe de justesse l’écueil d’un pathos maladroit. La pluralité des personnages et des voix donnés à entendre complexifient la constellation du discours tenu, se mélangent à l’utilisation plus mystérieuse du son, du masque et de la vidéo. Si bien que le réalisme très prégnant de la forme se prolonge dans une forme d’incertitude qui le spectrifie et permet de déployer une pensée fertilisante, quoiqu’elle ne porte pas toujours à terme ses aboutissements, tel qu’il en va par exemple du travail musical. Les synthétiseurs analogiques et boîtes à rythme manipulés à vue par Bedis Tir, qui incarne ponctuellement Adel, sont la matérialisation évocatrice de sa singularité, en ce qu’ils s’autorisent la disharmonie et les séquences monophoniques. Ils élaborent une relation d'interactivité au plateau qui tend à s’émanciper des relations interpersonnelles beaucoup plus classiques présentées sur scène. Mais s’il réchappe ainsi au littéralisme, le travail sonore ne reste toutefois qu’un accompagnateur, relégué métaphoriquement et physiquement au banc de la scène, qui donne la priorité en son centre à une fable somme tout assez linéaire.

L’autre pas entamé vers la singularité est celui du travail du masque, bien que le résultat obtenu soit plus discutable. Présents à la scène comme à l’écran, ces masques fâchés de visages gribouillés au pastel uniformisent ceux qui les portent, suscitent une inquiétante étrangeté qui tombe dans le schématique à grand renforts de gestes caricaturaux et chorégraphiés pour évoquer les comportements autistiques. La matière est là, mais elle se laisse assimiler trop rapidement au contenu politique du texte - tribune pour l'hôpital comme une apothéose à l’appui - sans que ne soit donné toute sa forme autistique et artistique au Spectre. A l’orée d’un happy ending standardisé sur le politiquement correct, il reste encore à pousser véritablement le pas vers cette étrangeté pour que s’opère le dévoilement politique tant recherché de cette constellation.

Emma Delon, 20 octobre 2022



Distribution


Avec Clara Bonnet, Gaspard Liberelle, Gaël Sall, Bedis Tir, Nina Villanova

Composition musicale Bedis Tir

Costumes et scénographie Alice Duchange

Vidéo Augustin Bonnet & Mehdi Rondeleux

Lumière Bruno Marsol

Régie générale Clémentine Pradier

Régie son et vidéo Mathieu Plantevin

Masques Lily Bonnet

Avec le regard de Lucas Palisse, intervenant spécialisé autisme






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