ROGATONS, DRAME SANGLANT


conception


MATHILDE COURCOL-ROZÈS






© Sarah Nowaczyk


Vu au Théâtre des Déchargeurs  - 12 septembre 2022 


                                    

“Le cannibalisme est un humanisme“




Si aujourd’hui ce n’est plus au théâtre mais « sur grand écran que des fous, des psychopathes, des hystériques (…) terrorisent le public » pour reprendre Flore Marcin-Garrou, grand bien en prenne à Rogatons de renouer, par la métaphore cannibale, avec un genre bien absent du théâtre : le Grand-Guignol, dont on doit les heures de gloire parisiennes à un goût aussi macabre que rigolard pour l’épouvante.

Car Rogatons, s’il est cousin d’un giallo en matière d’érotisme et de La Grande Bouffe en matière de boulimie, reste avant tout un héritier du genre, qui cherche à manier, entre autres, le fameux « rire d’épouvante », « l’ingrédient obscur et secret du Grand-Guignol » comme dit Mel Gordon, et depuis longtemps récupéré par les séries B ainsi que quelques réalisateurs éclairés. Cris et gloussements s’indifférencient en effet dans la gorge face à la fiction-cadre de Rogatons : une mère dont les progénitures à peine sorties sont ravalées sous forme de bon petit plat. La chair de sa chair lasse pourtant la fine gourmet : la bien-nommée Marie-Viande, par l’intermédiaire d’une intendante que la maigreur aura sauvée de la dévoration, se met en quête d’un corps étranger à ingérer. Alors une autre dévoration débute, autrement plus dangereuse : bouffer ses enfants passe, mais entamer une discussion avec un inconnu, dont la mort par enfournage lui rend paradoxalement la vie qu’il a perdue à se morfondre au travail  ? Voilà la vraie horreur, à s’en donner des maux d’estomac.

Habile renversement, par lequel la figure de Marie-Viande, qui ronge surtout les os de la solitude, devient plutôt sympathique : gênée par son physique déroutant, d’un coup rouge aux joues, bien empruntée, elle perd le contrôle face au romantisme de l’inconnu. Pour cause : recluse du monde (on dirait d’ailleurs qu’il n’y a aucun amant, aucun géniteur…), elle mange aussitôt ce qui sort d’elle pour éviter d’aimer quelqu’un d’autre, tandis que l’inconnu qui désire disparaître en elle, par-delà son humanisme, rêve secrètement la dévoration en acte d’amour ultime — la fusion dans la chair. Incapable de recevoir tout amour, elle entraîne malgré elle la jalousie mortifère de l’enfant difforme, Polype : pour eux deux, rien de pire qu’une incursion de bienveillance, et le désastre s’abat dans leur train-train cannibale.

Si la bifurcation de l’intrigue est réjouissante - la terreur n’est pas ce qu’on croit -, on regrette peut-être que ni l’horreur réelle (le cannibalisme) ni l’horreur symbolique (l’amour) ne soient vraiment menaçantes : mêmes les artifices sanguinolents en clôture de spectacle n’empêchent pas le rire de prendre confortablement le dessus sur l’épouvante. Si le Grand-Guignol est une trame de fond évidente, Rogatons cache en fait une sorte de comédie romantique, certes amusante, mais qui s’éloigne de l’objectif affolant du théâtre dont la pièce se réclamait avec vigueur : une salle la plus vide possible à la fin du spectacle, car les spectateurs se sont évanouis ou ont fui.



Victor Inisan, 19 septembre 2022
    

Distribution

Texte, mise en scène
Mathilde Courcol-Rozès

Collaboration mise en scène
Marine Guez

Scénographie
Bruno Torralba

Création lumières
Fany Combrou

Accompagnement costumes
Thelma Di Marco

Jeu
Rémi Fransot, Inès Musial, Etienne Thomas en alternance avec Paolo Malassis



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