Seule comme Maria
conception et écriture
Marilou Aussilloux et Théo Askolovitch

© Christophe Raynaud de Lage
Vu le 31 janvier 2025 à l’Athénée - salle Christian-Bérard
“Mes larmes dans le film étaient vraies”
Seule comme Maria débobine sans détours le fil fétiche de la saison Christian-Bérard de l’Athénée : celui des tentatives de connexion entre des actrices contemporaines et des icônes progressistes du passé.
Dans le spectacle porté par Marilou Aussilloux et co-signé avec Théo Askolovitch, Marilou et Maria (Schneider) se regardent à travers le temps, comme depuis les deux faces contigües d’un miroir. La dramaturgie du “comme“ permet alors un discours limpide et incontestable sur la réalité systémiquement violentée du métier d’actrice. Le temps théâtral fonctionne comme celui d’une mise en puissance progressive et réciproque des deux femmes, comme celui du retournement de leurs silenciations et de leurs blessures spécifiques en forces sacrificielles (comme l’écrirait Anne Dufourmantelle). L’ici délibérément cathartique du théâtre n’est pas tant un espace complètement réparateur qu’un lieu à la fois restaurateur et projectif, où Marilou reprend le droit d’être libre en redonnant à Maria sa parole et son parcours d’actrice inassouvis. La rencontre n’est d’ailleurs pas tout de suite évidente, et la tentative mimétique d’évoquer Maria à l’aide d’une perruque synthétique commence par échouer ouvertement. Car Maria ne pourra hanter le plateau que si on la délivre de ses oripeaux iconiques et des fantasmes masculins qui habitent encore l’imaginaire collectif. Il faudra alors que Marilou prenne le temps de la connaître, de percer ses secrets et aussi de restituer – opération verbale la plus convaincante du spectacle – le female gaze manquant à la scène du beurre, séquence tristement fameuse du Dernier tango.
L’énergie sacrificielle qui gigote dans Seule comme Maria est sûrement sa piste théâtrale la plus prometteuse. Le spectacle rêve en effet, dans ses derniers mots, que l’éruption scénique des violences singulières et communes de Maria et Marilou ouvre une voie nouvelle, encore à investir, plutôt que des discours qui les auraient digérées. Pourtant, le spectacle laisse l’impression contraire d’une forme refermée et balisée, bien moins labyrinthique et chaotique qu’elle en a l’air. Car les nombreux réflexes démonstratifs du texte empêchent d’abord que la rencontre entre les deux femmes advienne dans le trouble recherché ; le geste en train de se faire reste ici une intention textuelle, un cliché emprunté plus qu’investi de théâtre contemporain ; car l’ensemble est en fait très efficacement théâtralisé. Tandis que le déséquilibre fréquent entre les prises de parole directement politiques de Schneider et les récits souvent plus psychologiques de Marilou donne la sensation d’une confusion des niveaux de parole et d’une hésitation sur l’acte théâtral recherché. Est-ce le réassurance d’une jeune actrice par la parole éclairante et armante d’une autre ? Est-ce un geste sororal plus largement politique où les parcours individuels comptent moins que la révélation béante d’une plaie systémique ? C’est comme si le spectacle montrait deux visages antagonistes qui rendaient l’acte théâtral sans puissante conséquence : celui d’un théâtre apparemment performatif cherchant la connexion patiente entre Maria et Marilou, permettant la résonance vertigineuse des destins, rattrapé par le démon du discours analogique qui banalise en fait très vite la pertinence du rapprochement et de la comparaison édifiante des vécus.
Pierre Lesquelen, 5 mars 2025.
Conception & texte Marilou Aussilloux & Théo Askolovitch
Avec Marilou Aussilloux
Création lumière Nicolas Bordes
Création sonore Antoine Reibre
Création vidéo Jules Bonnel
Assistant à la mise en scène Sébastien Truchet
Avec l'aide de Mady Zerah et Sophie Farsati