GRAND BATTEMENT


conception


MARIE DEPOORTER





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Vu au Théâtre des Déchargeurs  - 23 septembre 2022 


                                    

« Solo plaisir »



En proposant une partition gestuelle et textuelle aussi rythmée que malicieuse, Marie Depoorter, fraîchement diplômée de l’ENSATT, se plaît à incarner une jeune ballerine qui s’empare de sa sexualité. Et fait de ce solo d’une quarantaine de minutes un tissage organique et subtil de ses talents pour l’écriture, la danse, le jeu…

Sous la lumière implacable des néons, Marie Depoorter enfile son costume de danse et devient Nelly, une jeune femme qui partage son temps entre les répétitions dans la salle de danse pour le Grand Ballet du Printemps, les visites hebdomadaires au sex-shop du coin et les téléfilms du dimanche soir avec maman. Commence alors l’échauffement.  Les mouvements sont glacés de précision, rigidifiés par leur répétition. Déjà le trouble s’installe entre l’interprète et son personnage, où la maîtrise technique de l’une est mise au service de la supposée froideur de l’autre.

Car c’est tout le drame de Nelly : elle est considérée “trop froide” par sa professeure de danse. Ne lui reste alors plus qu’à entamer une liaison avec son partenaire du pas de deux pour se réchauffer… Ce résumé succinct pourrait laisser penser à un énième récit d’initiation charnelle d’une jeune femme candide, où l’acmé résiderait dans l’acte salvateur de la pénétration masculine. Marie Depoorter s’en amuse beaucoup, et agit en virtuose consciente du leurre qu’elle propose. Malgré cette froideur retranscrite dans tous les éléments scéniques au début du spectacle - éclairage au néon, technicité glacée des mouvements de danse répétés, peu d’émotivité dans le jeu - il ne faut pas s’y laisser prendre : la chaleur couve déjà sous la banquise. Le maniement de la langue est un de ces redoutables semeurs de trouble : les phrases courtes nominales se parent d’un langage cru et coloré, sous le rythme de l’échauffement de danse qui se prolonge et s’intensifie.

S’opère alors par télescopage de phrases et de gestes enfiévrés non pas une métamorphose mais un processus de révélation. Le corps glabre érotisé de la ballerine  devient sujet érotisant par ces gestes et ces mots qui vibrent de malice et de désir. Le temps de réaliser que la froideur glacée que l’on projette sur cette danseuse n’est rien d’autre que cela, dès le départ : une projection. Les visites hebdomadaires au sex-shop nous le disaient déjà en somme. Ainsi, le partenaire masculin peut faire irruption dans le récit sans que cela ne constitue en soi le nœud dramatique absolu du spectacle. Si bien qu’il ne s’agit pas tant d’un éveil sexuel permis grâce à une présence masculine tierce que d’un passage à l’acte conscient vers une sexualité à deux orchestrée par la jeune femme.

Marie Depoorter pousse plus loin le renversement par la quasi réification du partenaire masculin, façonné en instrument à donner du plaisir. Impression prolongée par l’apparition en chair et en os du partenaire sur scène, qui reste muet, au service de la brillante vision artistique de la comédienne. Il y a quelque chose d’un féminisme aussi éclairé que subversif dans ce solo, qui parvient à ne s’acquitter d’aucune forme de bien pensance, et se défait de scories lourdement explicatives. Sous la lumière qui se réchauffe, il ne subsiste en grand final que la déflagration d’une irrationalité salvatrice, qui confirme la profondeur artistique du geste de Marie Depooter.



Emma Delon, 3 octobre 2022



Distribution

Texte, mise en scène Marie Depoorter

Collaboration artistique Sarah Delaby-Rochette et Mikaël Tréguer

Dramaturgie Baptiste Febvre

Lumières Alice Nedelec

Scénographie Clara George-Sartorio

Costumes Claire Dian

Collaboration chorégraphique Ricardo Moreno, Léonie Roger et Pauline Popard

Jeu Marie Depoorter, Baptiste Febvre




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