Toutes les villes détruites se ressemblent
conception
Magrit Coulon et Bogdan Kikena

© Dominique Houcmant
Vu au T2G (Théâtre de Gennevilliers) le 22 mai 2025
“Mémoire morte“
Le musée pas si imaginaire de Magrit Coulon et Bogdan Kikena – un certain MEMED (Musée Européen de la Mémoire et de la Destruction) où plus personne ne vient se souvenir – s’ouvre aux spectateur·rice·s invisibles et même statufié·e·s que nous sommes, sans doute ses ultimes occupant·e·s.
Coulon et Kikena prouvent combien la radicalité n’a parfois rien d’une aridité. Entre l’absurdie d’un rituel ionescien — les deux vieux des Chaises sont les ancêtres de ces gardien·ne·s désœuvré·e·s qui doivent finir eux·elles-mêmes par se grimer en visiteur·se·s – et l’exigence constamment tenue d’un temps réel, sans artifice, qui est plutôt celui du théâtre documentaire performatif, Toutes les villes détruites se ressemblent est ne verse ni dans l’ironisation de sa métaphore universelle, ni dans sa pesante sublimation. L’énergie du désespoir, dans toute sa beauté et sa comédie, se mêle ici sans distinction à l’âpreté tragique d’une dystopie réelle, c’est-à-dire une fiction sommaire, implantée dans le contemporain et dans la scénographie concrète d’un théâtre (ici le hall du T2G).
Persistent quelques réflexes (de théâtre belge notamment) – la différation étirée de l’événement, l’indétermination entre le personnage et le réel de l’acteur·rice… – mais s’impose surtout l’imperturbable singularité d’un geste qui s’assume comme une allégorie intangible : celle de la Mémoire qui ne fait plus mémoire. La rigueur de la métaphore est sans doute ce qui, malgré tout, fait pencher la représentation dans sa durée ; car une fois cadrée à l’orée du spectacle, celle-ci renouvelle peu son thème et son discours. Peut-être que le curseur entre fictionnalité et performativité pourrait être ajusté autrement. Car en faisant davantage exister ces deux êtres comme des figures (par l’interchangeabilité des costumes notamment) et non comme des activateur·se·s authentiques ; en commençant par jouer une situation hors-cadre (lui va rameuter du public dans la rue) plus que la situation réelle et la parole muette du lieu, la dramaturgie fait sans doute un peu trop triompher la fiction. Le spectacle en ressort moins rechargé et développé qu’il devrait l’être par son propre processus : par l’aléa de cette relation finalement un peu banalisée entre spectateur·rice·s et gardien·ne·s, et par la mémoire de la représentation qui aurait pu répondre activement à celle, bien compromise, du mythique MEMED.
Pierre Lesquelen, 23 mai 2025.
Conception Magrit Coulon, Bogdan Kikena
Avec Jules Bisson, Pascal Jamault, Maya Lombard
Écriture et dramaturgie Bogdan Kikena
Mise en scène et son Magrit Coulon