L’ÎLE AUX PÈRES


conception et mise en scène


LIZA MACHOVER







© DR

Vu au Festival WET (septième édition), organisé par le Théâtre Olympia CDN de Tours, au CCNT (Tours) le 25 mars 2023


                                    

“Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités“




L’absence légendaire des pères semble inversement proportionnelle aux immenses responsabilités, aux pesantes missions héroïques qui, murmurées à l’oreille des fils, déterminent et perpétuent une certaine masculinité. Lorsque cet héritage encombrant trouve un mausolée, une utopie pour à la fois s’immortaliser, s’isoler et s’évaporer, alors les fils peuvent déployer d’autres corporéités et d’autres imaginaires pour s’épanouir.

Liza Machover pense théâtralement cette allégorie contemporaine, qu’elle baptise L’île aux pères, comme une performance relationnelle. Et ce dans une forme ultra composite qui débute par un cap ou pas cap de caïds, un in-year-face in situ où le réel perce à faire peur (roulettes russe de rue à l'affiche), mais où la mine d’un théâtre édifiant, faisant paradoxalement son beurre spectaculaire des gros exploits masculins (comme « La Tendresse » de Julie Bérès), peut d’abord inquiéter. Heureusement que la première séquence jouée en intérieur, dans un bifrontal qui place encore le public sur les rives de l’île, dissipe immédiatement ce régime spectaculaire. Trois super-héros, dont le trop bien connu Spiderman qui a cette fois du « calcaire sur le masque », se livrent alors à un concours de tire à l’arc qui n’a rien d’un boys club satisfait. La finesse déconstructiviste de cette Île aux pères réside immédiatement dans l’empathie que Liza Machover parvient à générer entre les spectateur.rice.s et les trois gaillards. Et ce parce que les protocoles de jeu initiés par la metteure en scène ne cherchent pas à réécrire leurs corps, à les mener vers cette justesse idéale que théorisait Ivan Jablonka, à leur imposer une énergie contraire. Ils tendent plutôt à déboutonner leur masculinité, à rendre saillant ce qui, dans leur gestus (des traversées imperturbables pour aller voir la « voiture de papa » aux danses fragiles sur « I Want to Break Free ») relève de la reproduction ou de la transgression, de l’héritage ou de la rupture, de la chorégraphie consciente ou irréfléchie du genre.

La pluralité esthétique (entre séquences théâtrales, contes, témoignages reenactés,…) est un peu séchée par la lecture de la note d’intention au milieu du spectacle (par Liza Machover elle-même) qui ressoude démonstrativement l’ensemble. Cette précaution n’enlève toutefois rien aux troubles que génèrent certaines tentatives, comme lorsqu’une diapositive d’enfance est mise en volume par une feuille de papier et qu’alors, dans le recel de l’image, surgit la preuve invisible du paternalisme. Elle n’éteint pas non plus la force d’attraction des dates, des photos, des dessins, des lieux que la représentation ne nous permet pas encore d’aborder mais dont l’installation finale va nous rapprocher. Les spectateur.rice.s foulent et déchiffrent alors la fameuse île. Ils.elles la chiffrent même à leur tour en y faisant jaillir le juke-box de leurs papas, ou bien les gestes qu’il s.elles conservent d’eux (gestes que le formidable Julien Moreau déploie performativement pour en révéler la charge secrète). Liza Machover réussit donc à transmuter le frontal spectacle qu’elle déployait au départ en expérience relationnelle, impliquant les souvenirs et épiphanies de toutes et tous. Elle a le mérite de ne pas sacraliser la scène comme miroir pédagogique et exemplaire d’une masculinité future, l’ayant pensée davantage comme un espace trouble et dialectique sans cesse impliquant. Une zone de réapparition, de confrontation intime avec les spectres paternels adorés autant que contestés de nos imaginaires culturels et de nos vies.



Pierre Lesquelen, 30 mars 2023.




Distribution

Conception et mise en scène Liza Machover

collaborations artistiques et interprétation Florian Bessin, Julien Moreau, Thibault Villette

aide à la dramaturgie Carolina Rebolledo-Vera

conseils Alex Mesnil

scénographie Carine Ravaud

aidée par Florian Bessin

chorégraphie Marie Rasolomanana

son et régie générale Benjamin Möller

création lumières Maureen Sizun Vom Dorp

régie lumière Paul Argis

montages vidéo / captations vidéos Alex Mesnil / Alex Mesnil et Claire Dantec

carte de l’île Lara Manipoud et Florian Bessin

costume Sangohan Jonathan Devrieux

conception graphique constellation Stéphane Toque

témoignages les pères de Monthelon, les pères de Merville-Franceville, les pères de Caen, les pères de Saint Nazaire, les pères de Paris, les collégiens du bocage de Vire, les élèves de l’école Albert Camus à Saint Nazaire, etc.

administration Jeanne Humbert




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