Closure




“La fermeture est un mouvement réversible“


Lisanne Goodhue, chorégraphe, danseuse et performeuse, invente une grammaire gestuelle et langagière pour penser le mouvement d'arrêt, la fracture, comme un mouvement, donc comme le contraire d'une fin en soi. Elle manifeste un corps-langage agi par une dynamique de réouverture en opposition aux discours de fin en faisant preuve d'une créativité inarrêtable.

Alors que nous entrons dans la salle, l'ambiance est à l'effroi  en ce qui concerne les attaques à la tronçonneuse sur les structures culturelles et les associations  ordonnée par la furieuse présidente LR de la région Pays-de-Loire. Le cap libéral (extrêmement) à droite sur le budget national pour la réduction à néant du service public (santé, éducation, culture) et l'appauvrissement des déjà pauvres selon une logique à peine dissimulée d'effondrement démocratique est annoncé. Notre révolte se chuchote encore entre nous sur les bancs du public quand Lisanne Goodhue surgit avec des yeux grands ouverts, comme figés par la sidération, et une bouche qui prend un plaisir sadique visible à marteler un discours de fermeté et de fermeture, « I want Closure ». Tout doit fermer, tout doit disparaître, il n'y a pas d'alternative : cette langue péremptoire nous est plantée dans les yeux et les oreilles et son proto-fascisme commence à devenir une matière autoritaire visuelle et sonore que Lisanne Goodhue s'applique à décharger ou à décharner.

Bientôt, il y a dans la fermeture discursive, dans la closure, un certain plaisir, pleasure, et dans la volonté de faire « place nette »,  un vide à occuper, un espace d'invention qui se libère, un terrain vague ouvert aux jeux de langues et de corps, une page blanche à écrire. Sur ce tapis de danse blanc, Lisanne Goodhue fait naître ex-nihilo un grand branle-bas de combat. Il ne s'agit pas de s'adapter (injonction capitaliste) ni de faire preuve d'obéissance (injonction fasciste) ou de résignation (injonction nihilsite) mais d'inventer un art de vivre en traversant le déclin, un art de résister.  Lisanne Goodhue prend la crise comme une condition phénoménologique : le réel se donne dans l'incapacité de générer de l'avenir en commun et des possibilités, il faut exister dedans, donc créer dedans, et le détourner de sa chute par la création d'une chute désirée. Elle invente le corps-langage collapsologique où l'on ne trouve pas rien, mais bel un bien un réservoir de formes et de conceptions qui peuvent possiblement être investies :  la rationalité en lignes brisées, le remixage textuel inclusif, le discours imprononcé gesticulé, le mouvement contradictoire (qui va dans deux directions opposées), l'organisation bordélique, la précipitation volontaire, la liquéfaction autonome, le dos-au-mur glissant latéral...  Ainsi, comme on met au point des immeubles anti-sismiques, Lisanne Goodhue met en point la création collapsologique : elle fait tenir debout l'art sur des fondations ruinées économiquement, socialement, écologiquement et idéologiquement. Elle résiste. À la fin de la performance, elle ouvre la porte du studio et continue son échappée en lignes brisées réorganisées en système organique, dont elle tire le fil imaginaire, il n'y a plus de fermeture.



Anne-Laure Thumerel, 6 décembre 2024.
    


Chorégraphie Lisanne Goodhue

Danse et performance Lisanne Goodhue 

Son Mei Bao

Proposition Costumes, Scénographie, Lumières Lisanne Goodhue

Technique Maïlou Vasseur

Œil extérieur Rachel Tess, Marion Storm, Mariana Vianna, collectif cohue

Conseils textes Daniel Lühmann

Caméra et montage Loïc Beslay 

Production Lucille Belland-cohue 

Remerciements Meï Bao






︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés