Psychodrame
conception et mise en scène
Lisa Guez
© Jean-Louis Fernandez
Vu au Théâtre de la Ville (Abbesses) le 10 décembre 2024.
“Être la pomme”
La simplicité du titre et de la forme de la dernière création de Lisa Guez (avec la compagnie 13/3) réserve quelques étonnements. Psychodrame, présenté au Théâtre des Abbesses en décembre 2024, se tient dans la salle d'activité quelconque d'un hôpital publique, et consiste à suivre quelques patientes dans leurs séances de psychodrame ; une méthode thérapeutique fondée sur une improvisation scénique sous contrôle du soignant-metteur en scène.
Psychodrame ne mène pas un travail documentaire sur un certain type de pratique thérapeutique, mais nous y plonge. C'est par l'arrivée d'une nouvelle soignante dans cette équipe de soin que la situation nous est présentée. Par la suite, toute compréhension de ce qu'est le psychodrame correspond à ce que le psychodrame permet de saisir et d'éclairer des situations singulières des unes et des autres. Un spectacle donc qui se fait avec et par le psychodrame, sans que des approches réflexives, de méthode ou de contexte, ne soient particulièrement développées. Mais ce qu'est le psychodrame s'efface derrière ce qui apparaît au cours des séances, dont la qualité d'écriture menée en discussion avec la psychiatre Géraldine Rougevin-Baville est frappante.
La scène jouée pendant le psychodrame est imaginée par la patiente, avec l'aide de la thérapeute. Il peut s'agir d'un rêve, d'une scène primitive, d'un fantasme, et la patiente ainsi que les soignantes peuvent prendre pour rôle des êtres aussi différents que par exemple une femme-serpent, un arbre, un papier-peint, une pomme. Il ne s'agit pas cependant de jouer comme la pomme, mais d'être la pomme, c'est-à-dire de parler depuis le point de vue de la pomme dans cette situation. Reformulation peu éclairante certes. C'est une réussite du spectacle de réaliser cette dramaturgie de l'être que chaque être humain implicitement et inconsciemment déploie et avec laquelle il s'agit de jouer au mieux. Nul ridicule, nulle absurdité n'occulte ce délicat travail, qui déploie au contraire des figures et des significations existentielles opaques qui sont à reconnaître et à débrouiller. Nous suivons le cheminement de chacune de ces patientes qui laisse méditatif, songeur, et étonné – au sens philosophique – par ces tours que la santé vitale de chacune invente avec une beauté qui parvient à se faire reconnaître. Certains signes constants scandent le cours de ce travail : le démantèlement du service public, la maltraitance des patients, la souffrance au travail, la peur de l'effondrement d'un monde. Reste ainsi l'enjeu et le sens d'un destin collectif que Psychodrame parvient aussi à faire entendre, en le mettant à une place inhabituelle, mais si juste, celle d'une ligne d'horizon.
William Fujiwara, 28 janvier 2025.
Conception et mise en scène Lisa Guez
Une écriture collective de Fernanda Barth, Valentine Bellone, Sarah Doukhan, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Clara Normand et Jordane Soudre dirigée par Lisa Guez
Jeu Fernanda Barth, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Jordane Soudre
Collaboration à la mise en scène, à la dramaturgie et costumes Sarah Doukhan
Conseil scientifique à la création Géraldine Rougevin-Baville
Création lumières et scénographie Lila Meynard
Réalisation du décor Ateliers de construction du ThéâtredelaCité sous la direction de Michaël Labat
Création sonore et musciale Louis-Marie Hippolyte (Louma Hipp)
Conseil scientifique Géraldine Rougevin-Baville
Collaboration artistique et production Clara Normand
Regard chorégraphique Cyril Viallon