BIQUES


conception

LES MILLE PRINTEMPS







© Simon Gosselin

Vu au Théâtre 13 (Paris) le 20 mars 2023


                                    

“Portraits de jeunes vieilles en feu“



Pour sa troisième création, le collectif Les Mille Printemps a décidé de se frotter à la question de l’âgisme: elles sont neuf comédiennes toutes générations confondues au plateau, transformé pour l’occasion en un salon d’Ehpad. Immersion gentillette mais foisonnante auprès du personnel et de ces mamies qui bientôt feront de la résistance…

“L’Ehpad c’est pas le Mordor”: une fois qu’une des protagonistes a déclaré cela, on comprend que c’est le mot d’ordre de ce spectacle, nourri d’une année de travail de recherche et de création d’ateliers intergénérationnels dans un Ehpad, justement. Il faut se laisser avoir par la froideur impersonnelle de la salle commune, ses plantes en pot artificielles, ses murs jaunis et ses chaises en plastique orange pour comprendre le charme discret de ce décor plus fouillé qu’il n’y paraît. C’est d’autant plus naturellement que s’y plantent les bases d’une solidarité  bienveillante et autres contre-modèles de rapports transgénérationnels féminins.

C’est le pot de départ à la retraite de Catherine: les comédiennes en blouse blanche qui accueillent le public et le glissent douillettement vers la fiction sont des aides soignantes enthousiastes et convaincantes. A la lecture du dossier de presse, qui présente Biques comme  “un spectacle intergénérationnel sur l’âgisme”, on s’attendrait presque à ce que des actrices en déambulateur fraîchement débarquées de leur maison de retraite viennent reprendre leur place sur le plateau. Et c’est ce qui arrive. Ou presque. Car ces actrices qui roulent dans leurs fauteuils et se cramponnent à leurs rollators n’ont pas tout à fait l’âge du rôle, elles sont pour certaines plus près du Baccalauréat que des dentiers et de l'arthrose. Le collectif et leur metteuse en scène Gabrielle Chalmont-Cavache ont fait l’opération littérale de confondre les générations:  les comédiennes jouent les jeunes ET les vieilles, elles font partie du personnel de la maison de retraite ou des familles de résidents, puis se métamorphosent sous nos yeux en ces mêmes résidentes tandis que l’on dévêt leurs corps pour faire la toilette du jour. Ce qu’il y a de plus magique chez ces “vieilles biques” donc, c’est qu'elles n’en sont pas vraiment. Confronter son propre corps au vieillissement, et par-là même éprouver le spectateur face à ce vieillissement du corps relève d’une expérience sensible, presque palpable, qui devient politique parce qu’individuelle et partageable.

La force de Biques réside aussi dans le traitement esthétique réaliste du plateau, anecdotique en apparence. Cet ennui formel semble provoqué à dessein ; il inscrit cette plongée dans le monde du care féminin dans l’ordre naturel du monde et des choses, comme pour acter politiquement la normalisation de la mise en lumière -et en récit-  de ce microcosme féminin traditionnellement invisibilisé. Pour ne pas tout révéler de la fable, il s’agira simplement de dire que l’Ehpad se retrouve menacée, et qu’à partir de là c’est tout un petit monde qui se met en branle, s’organise pour inventer de nouveaux possibles qui font résonner des idées féministes et inclusives. S’opère alors la mise en pratique de rapports féminins et intergénérationnels qui peuvent et doivent changer.



Certes, il reste dans l’écriture des traces de ces guéguerres entre femmes qui sonnent comme des clichés attendus et pas si désopilants. Heureusement l’intrigue n’en reste pas là, et aborde sous les dehors les plus banaux du monde -de simples discussions entre femmes- l’endométriose, le fantasme très patriarchal du sugar daddy, le lesbianisme chez les mères de famille de plus de cinquante ans…sans que cela ne constituent des noeuds au service de l’action dramatique. Ces non-évènements et cet entre-soi ont du bon, ils participent activement à cet engagement politique que constitue la banalisation de ces représentations transformées. L’illusion fonctionne, elle est maintenue au-delà du trouble provoqué par les glissements intergénérationnels entre les différents rôles. Déconstruire et reconstruire une réalité qui repousse. Le Mordor s’efface, laisse s’ancrer une sororité solide  au sein d’une communauté hétéroclite. Et c’est bien normal, et c’est bien possible, chantent les jeunes vieilles en feu.



Emma Delon, 30 mars 2023.




Distribution 

Mise en scène Gabrielle Chalmont-Cavache

Texte Gabrielle Chalmont-Cavache et Marie-Pierre Nalbandian

Avec Claire Bouanich, Sarah Coulaud, Louise Fafa, Lawa Fauquet, Marie-Pascale Grenier, Carole Leblanc, Maud Martel, Taïdir Ouazine et Jeanne Ruff

Collaboration à l'écriture Marina Tomé

Création lumière Emma Schler

Scénographie Lise Mazeaud

Conception vidéo Jonathan Schupak

Création musicale Balthazar Ruff

Chorégraphie Marion Gallet assistée de Louise Fafa

Costumes Sarah Coulaud



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