GÉNÉRATION MITTERAND


mise en scène


LÉO COHEN-PAPERMAN







© Pauline Le Goff


Vu au Théâtre de Belleville - 8 septembre 2022


                                    

« Au départ, un homme une rose à la main »

          
Entre Chirac et Giscard, le deuxième opus de la « série des huits rois » de Léo Cohen-Paperman promet une passionnante enquête sur les Mitterandistes et sur leurs bifurcations.

Au départ, ils semblent encore s’appeler Mathieu, Hélène et Léonard. Ils se connectent non sans trouble à leurs personnages respectifs (Michel, ouvrier et actuel électeur de Marine Le Pen, Marie-France, journaliste macroniste et Luc, enseignant mélenchoniste). Ce bel instant théâtral de flottement ne raconte pas seulement l’écart qui peut les séparer idéologiquement de leurs protagonistes, mais avant tout ce qui les en rapproche : l’âge. Les Mitterandistes de 1981 avaient eux aussi trente ans. Là est le plus beau vertige du spectacle qui évolue ensuite au croisement de deux problématiques : il s’efforce à la fois de nouer l’engagement initial de ces protagonistes avec leurs idéaux actuels (le progressisme et la lutte anti-raciste de Luc, le pro-européanisme de Marie-France…), et à faire émerger rétroactivement la figure aux mille visages de François Mitterand, « sable qui glisse entre les doigts* » (comme l’imageait Constance Debré en 2013), pelote d’idées, instance quasi invisible, prisme aglutinant les projections et les attentes du peuple.

L’écriture habile et fouillée de Léo Cohen-Paperman, qui ne cède jamais au semage d’effets de réel ou d’informations historiques mais qui façonne d’authentiques dialogues, formate toutefois un régime de jeu plus efficace dès que le seuil d’incarnation a été franchi. Il nous a manqué certains points de bascule, certaines transitions dramaturgiques et performatives pour que les fictions de chacun.e, immersions dans les coulisses du pouvoir ou interviews radiophoniques, ne prennent pas à nos yeux l’apparence de documents édifiants. C’est cette fabrique de la fiction Mitterand en train de se faire que nous aurions aimé voir davantage, plutôt qu’une figure présidentielle affleurant au croisement de trois trajectoires finalement assez balisées. Et lorsque la dramaturgie suggère que les convictions anti-européennes de Michel (qui se dit trahi après les annonces réformistes de Mitterand) pouvaient être contenues en germe les tâtonnements du président sur le sujet face à Michel Rocard, la dimension justificatrice de l’écriture questionne. Plutôt qu’à une démonstration des reviremements ou des confirmations idéologiques (heureusement faite sans surlignage), nous aurions aimé affronter les contradictions et lois secrètes de ces citoyen.ne.s, dont la liberté est un peu confisquée par l’écriture qui les dirige comme des personnages parfois tout d’un bloc (c’est le cas de Michel, idéal d’intégréité). Voir derrière ces rosiers de la première heure un je ne sais quoi de trop humain, davantage de ramifications qui échappent à l’éclairage historique, davantage de contradictions (un peu plus tangibles cela dit chez Marie-France) qui égaleraient celles de leur mentor écharpé.

Pierre Lesquelen, 19 septembre 2022


*Extrait de sa conférence au Théâtre du Chatelet à revoir ICI. Nous remercions Hugues Duchesne de nous avoir soufflé cette référence.

         
    

Distribution

Texte
Léo Cohen-Paperman et Emilien Diard-Detoeuf

Mise en scène
Léo Cohen-Paperman

Jeu
Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Hélène Rencurel

Lumières
Pablo Roy

Scénographie
Anne-Sophie Grac

Costumes
Manon Naudet



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