JE VIS DANS UNE MAISON QUI
N’EXISTE PAS
texte de
“J’invente TOUT“
Troisième monologue de Laurène Marx, Je vis dans une maison qui n’existe pas devrait provoquer un geste scénique relié aux nouvelles théâtralisations de l’enfance qui surgissent dans le jeune paysage créatif.
Le Grand sommeil de Marion Siéfert ou J’ai une épée de Léa Drouet sont en effet d’autres solos récents qui ont cherché à dépolir l’enfance. Pris en charge par des interprètes qui voulaient évoquer corporellement (souvent jusqu’au grotesque) cette phase tumultueuse de la vie plutôt que l’imiter et l’imager, ces formes théâtrales ont réussi à nous faire affronter l’enfance dans tous ses mystères effrayants, dans toute sa monstruosité, dans toute sa « guerre » comme l’écrit cette fois Laurène Marx. C’est ici la colère indomptable de Nikki – excroissance indéterminée de l’autrice – qui s’épanche en majuscules dans un texte aussi insoumis à la logique biographique et narrative que Pour un temps sois peu et Borderline love (précédentes œuvres de Marx, toutes deux parues aux Éditions Théâtrales). Plus qu’un texte, Je vis dans une maison qui n’existe pas s’affirme comme un espace alternatif, comme un refuge débâti, comme une volcanique terre promise qui ne tourne plus « le dos à la nuit » mais qui accueille, hurle et invente en même temps le “TOUT” irréductible de Nikki.
Les textes de Laurène Marx ont pour immense qualité d’être immédiatement identifiables — spontanéité et poéticité s’y mellent comme nulle part — et de cultiver pourtant des paroles chaque fois singulières. Après le ressassement très bernardhien de Borderline Love et les ébulitions dialectiques de Pour un temps sois peu, l’écriure de Je vis dans une maison... se donne comme une parole qui “BOUGE”, comme le réceptable d’une pure intranquillité, d’un insoluble “éternuement”. S’y redéploie le paradoxe énonciatif propre à tous les écrits de Laurène Marx : la parole est hyper frontale, parfois inhospitalière (”si t’es pas d’acocrd je m’en fous”) et pourtant toujours propice à l’identification (“Rapproche toi jusqu’à rentrer dans mon esprit“). De fait, les textes de Laurène Marx nourrissent des expériences viscéralement adressées, qui sont aussi déplaçantes à la lecture qu’au théâtre. Plus explicitement pamphlétaire que ses précédents écrits, parce que cette offrande à la rage enfantine déplie une ode métaphorique à l’anormalité, Je vis dans une maison qui n’existe pas devrait provoquer un spectacle toujours aussi anti-cathartique, où les “jours blessés” des enfances récentes ou anciennes s’inviteront dans la maison démurée de Nikki.
Pierre Lesquelen, 25 mars 2024
Texte (en cours) transmis par Théâtre Ouvert, création le 11 avril 2024 à Théâtre Ouvert (texte et mise en scène Laurène Marx, collaboration artistique Fanny Syntès).