C’est un réflexe nerveux et on n’y peut rien

conception

La Mesa Feliz




© Pénélope Marcadé


Vu à l’Artéphile dans le cadre d’Avignon OFF, le 12 juillet 2024

                                    


« Fervantes écarlates »





Entre le conte cruel façon Hanokh Levin, la cérémonie burlesque à la Copi et la fable symbolisto-féministe poursuivant Monique Wittig, le geste de Louise Herrero et Estelle Rotier n’appartient finalement qu’à lui-même. Il impose son étrangeté – le spectacle est d’ailleurs programmé parmi les « OVNI » du Théâtre Artéphile – et reste pourtant une œuvre très disponible pour nos imaginaires.
C’est un réflexe nerveux et on n’y peut rien peut se lire comme l’acte de deux évadnées. Cloîtrées dans une maison qui, comme tous les espaces symbolistes, semble être aussi médiévale que contemporaine, Thérèse et Palmier reconduisent physiquement et caractériellement la binarité inépuisable du duo burlesque ; l’une est élancée par sa coiffe bidougène et l’autre plus ancrée, l’une est plutôt fruits et l’autre plutôt légumes, l’une est rigoureuse et l’autre plus aventureuse. Thérèse et Palmier partagent pourtant des costumes aux mille nuances de chair, qui rappellent finalement peu les peaux pulvérisées et exorbitées de Francis Bacon ; parce qu’ici la chair est à la fois trop à vue et ironiquement cachée. L’épiderme bibendumique – qu’on a déjà vu employé chez plusieurs adeptes contemporains des corps hors norme, comme le Munstrum Théâtre –  tient ici plus du masque que de la loupe. L’habit qui grossit, dédouble et plastifie finalement la chair rend celle-ci inimaginable et inatteignable, autant pour les spectateur.rice.s que pour les interprètes.

La grande tension ludique du tissu – montrer et cacher – se trouve disciplinée : ces répliques de chair semblent annuler la perception et l’épreuve du dedans ; ils maîtrisent la vie du corps alors qu’ils paraissent l’exalter. Le costume est à la fois obscène et trop sage ; le statisme initial des deux personnages raconte à quel point le corps n’est encore pour elles qu’une image. C’est vers le dedans, vers la matière viandesque indésirable et interdite par la maisonnée patriarcale que vont s’acheminer peu à peu les deux femmes ; leur évasion est synonyme de renaissance politique à elles-mêmes. Et voilà qu’après des sommeils de plus en plus perturbés, la parole de Thérèse et Palmier n’est plus cette « suffocation » quotidienne et bien apprise de la parole dont parlait Monique Wittig. Le « système » verbal de Thérèse et Palmier implose et voilà que rejaillit un « langage premier » dont rêvait Wittig elle-même, celui-ci vibré par le corps. Peut-être que la linéarité visible du geste, que sa dramaturgie un peu trop balisée entre en conflit avec l’expérience sans repères qu’il pourrait davantage provoquer. Réussir un conte aussi bizarre que réel, éviter l’étrange pour l’étrange : voilà les grandes qualités du geste de Louise Herrero et Estelle Rotier dont on a hâte de poursuivre les futures échappées.


Pierre Lesquelen, 16  juillet 2024

    


Distribution 


Texte, mise en scène et jeu Louise Herrero et Estelle Rotier

Création lumières Titiane Barthel

Création costumes Maxence Rapetti Mauss

Création musicale Eloi Simonet











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