CLOSENESS OF TOUCH


chorégraphie et performance


IGOR KORUGA





© Vladimir Opsenica

Vu à la Maison de la Culture d’Amiens, dans le cadre de Amiens Europe — Feminist Futures Festival,  le 26 janvier 2024

                                    



“Le corps fuit“



Le dispositif de Closeness of touch frôle la nudité : un corps, celui du performer, ainsi qu’une toile tendue, sur laquelle une foule d’images en vrac (vidéos Tiktok, caméras de surveillance, journaux télévisés…). Sauf qu’à l’extrême jardin du plateau, elle ne fait pas face au public ; et pour cause, le spectacle se déroule physiquement et dramaturgiquement dans cet espace de l’entre-deux (entre le corps et les images ; entre le vidéo-projecteur et la toile) : Igor Koruga s’y « incruste » (au sens propre comme figuré), apparaissant une première fois sur la scène, une autre sur la toile parmi le monde à mille à l’heure que son corps échoue à suivre.

On aurait tort de ne pas s’attarder, entre deux clignements d’yeux, sur les images stroboscopiques diffusées sur l’écran : le capital y est partout certes, y compris la révolte contre le système coercitif, mais on distingue aussi des images de soin, souvent d’une triste blancheur d’hôpital (piqûres, bracelets, injections). On pense aux mots de Derek Jarman dans Chroma : « aux premières lueurs de l'aube je suis blanc comme un linge, pendant que j’avale les pilules blanches qui me maintiennent en vie en luttant contre le virus qui détruit mes globules blancs. Je hais le blanc ».

Mais Igor Koruga est atteint d’une autre pathologie, celle de l’immunodépression : son système de défense contre tout virus, pour ainsi dire, est défaillant. D’ailleurs, il danse en FFP2 — masque orange canard, un peu comique, car cette protection est regardée avec une maline ironie : la chaleur grimpe, il se dévêt peu à peu, et juste avant de conclure dans le public par une danse humide, le masque est enlevé. On pourrait élargir ce mécanisme, car Closeness of touch procède de cette façon : le corps voudrait être hermétique, mais il est, maladie ou pas, absolument percé de toutes part par le monde qui l’entoure, virtuel comme réel. Ainsi de cet interstice de la scène, véritable enfer pour quiconque rêverait d’étanchéité (physique ; spirituelle), qui devient ici le lieu poétique de sa condition… C’est ce que Koruga chorégraphie durant la performance : son corps, dont l’immunodépression est une synecdoque de la porosité, s’accommode, non sans humour, de sa condition.

À cet égard, le spectacle est assez drôle : Koruga s’épuise en conscience au plateau à vitesse grand V, mais il continue à twerker goulument, il veut au contraire se laisser aspirer par le monde 24/24 ; d’ailleurs ses propres Tiktok se mêlent aux images génériques, il regarde avec autant de dédain que de témérité la pathologie, devenue moteur du spectacle. Son corps fuit dans les deux sens du terme, mais il se fond aisément dans cette danse de la postmodernité, avec une finesse scénique qui, elle, ne s’épuise jamais.



Victor Inisan, 25 mars 2024
    


Distribution 

Chorégraphie, performance, videéo, texte Igor Koruga

Dramaturgie Ana Dubljevic

Conception des costumes Maja Mirkovic










    ︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés