Les Raisins de la colère

d’après le roman de John Steinbeck
adaptation et mise en scène

Hugo Roux





© Hugo Fleurance



Vu au 11·Avignon dans le cadre du Festival OFF d’Avignon, le 6 juillet 2024

                                    



“Craignez le temps où l’humanité refusera de souffrir“



Cette adaptation des Raisins de la colère est centrée sur le personnage de Tom Joad, tout juste sorti de prison.

Celui-ci (interprété par Hugues Duchêne) rejoint sa famille dans l’Oklahoma, où les effets de la crise économique et du tour de vis des banques obligent les familles soit à se plier à un nouveau mode de production, soit à quitter leur terre. La promesse alléchante d’une vie vivable en Californie les séduit. Sur la route cependant, la famille perdra certains de ses membres, sera chassée de place en place comme des migrants de l’intérieur indésirables et nuisibles, et l’arrivée en Californie n’aura rien de paradisiaque. Au contraire, les exploitants locaux ne verront en eux qu’une force de travail corvéable à merci. La famille Joad sera alors divisée, sans le savoir consciemment, entre la collaboration avec les exploiteurs de leur misère et la lutte pour de meilleures conditions de travail et de vie.

L’adaptation d’Hugo Roux souligne le poids des enjeux économiques et sociaux sur les destins individuels. Le découpage dans le roman sert une forme de naturalisme minimaliste, qui laisse toute la place au jeu des acteur.ices. Le spectacle y trouve son efficacité. Nous voyons se tisser les rapports de causalité et de corrélation entre les politiques économiques, le positionnement des banques, la destruction des formes de travail, les migrations intérieures, la haine de l’autre, son exploitation éhontée, la solidarité qui naît dans la misère avec la force de la nécessité. Le parallèle avec la situation française présente est frappant. Souhaitons que le détour américain permette une prise de conscience. En particulier, Hugo Roux découpe à travers le spectacle l’enjeu singulier de l’articulation entre l’injustice et la violence qu’elle peut appeler en retour. Tom Joad, qui vit en liberté conditionnelle, en est la figure clé. Il affronte, avec sa famille, les difficultés du voyage et de l’installation, avec toujours cette épée de Damoclès. Contrairement à son jeune frère, il doit maîtriser son sentiment d’injustice, l’endurer, et ne pas recourir à la « violence ». Ce que montre Hugo Roux avec Steinbeck, c’est que le coup de main ou le règlement de compte ne sont qu’une ultime réaction de l’individu, faute d’une réponse collective aux difficultés, et qu’en s’y livrant il se détruit lui-même.

Une scène particulièrement forte d’injustice sociale expose la stratégie des exploitants agricoles de tirer partie de la précarité des immigrants, dont les Joad, pour leur faire accepter les tarifs les plus bas, et contourner les faibles barrières du droit du travail d’alors. Dans l’intervalle entre l’Amérique des années 1930 et la France des années 2020, on pense aux droits acquis par la lutte sociale et politique, et régulièrement remis en cause. Les situations changent, mais les affects politiques souterrainement persistent, nous font être sensibles à la situation des Joad, mais aussi à la situation présente. Ce travail de l’affect politique repose sur le jeu d’acteur.ice, en particulier avec Jean-Yves Ruf – un père impuissant – et Karl Eberhard – à la fois le grand-père tôt disparu, puis un policier cruel et inhumain. Le spectacle s’appuie également sur la scénographie, plongée dans l’obscurité, avec en son centre ce tas informe de gravier, tantôt butte de repos, de bagarre, ou matériau à barrage. Donc une masse à la signification ambivalente, qui persiste à travers les épreuves, et à laquelle il faut donner une forme. Dans le fond obscur, les lumières rasantes évoquent des terrains vagues désertés, et installent subrepticement les personnages de Steinbeck dans le champ de la ruralité, dont il a été souvent question ces dernières semaines.
 


William Fujiwara, 11 juillet 2024
    


Distribution 

Avec Valérie Blanchon, Hugues Duchêne, Karl Eberhard, Alexia Hebrard, Lauriane Mitchell, Mickaël Pinelli, Jean-Yves Ruf, Edouard Sulpice

Adaptation et mise en scène Hugo Roux

Collaboration artistique Ferdinand Flame

Scénographie Juliette Desproges

Lumière et régie générale Hugo Fleurance

Son  Camille Vitté

Costume Louise Digard

Production et administration Marion Berthet










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