Prélude à l’Homme sans qualités


d’après le roman de Robert Musil


conception


Groupe Caute






© Jeanne Daniel-Nguyen


Vu au Théâtre de l’Aquarium (sortie de résidence) le 17 avril 2025 - étape de travail


                                    



“Rébus de Musil“




Le groupe Caute présentait fin avril en sortie de résidence au théâtre de l'aquarium   le travail en cours pour un Prélude à l'Homme sans qualités. Du livre de Robert Musil, on en retrouve des situations, des thèmes, des figures, qui restituent l'ambiance fin-de-siècle d'un ordre impérial en délitement.

Il s'agit néanmoins d'une transposition davantage que d'une adaptation. Les éléments aussi tangibles que le récit ou les figures des protoganistes sont dissous, digérés, pulvérisés peut-être pour répandre les tonalités d'ambiance sur lesquelles écrire des partitions contemporaines : comment se conduire, se tenir ; en somme comment élaborer une éthique dans ces temps à la fois clairs et emmêlés qu'on pourrait qualifier de post-impériaux ? Caute, la devise de Spinoza qu'on pourrait traduire par prudence, vigilance ou encore attention, est une maxime éthique à garder en tête. L'attention et l'écoute sont ici mises au travail par la nature polyphonique et hétérogène de la réponse. Les fils rouges se multiplient au cours de tableaux en association libre, c'est-à-dire laissée à la libre imagination pour investir la structure élaborée par la mise en scène de Julien Vella.

Deux individus se reconnaissent, se serrent la main, nous situent en Cacanie. Ils se demandent quel jugement on portera plus tard sur tout ça. Tout ça, c'est avant tout nos histoires, nos problèmes, nos lâchetés, nos projets et nos idéaux, en deux mots nous-mêmes, jugé.es plus tard devant un tribunal de l'histoire, et ce tribunal c'est encore nous-mêmes qui le formons. Donc, nous sommes en Cacanie, aussi bien que dans le tribunal de notre conscience, sans prendre la chose avec trop de majesté comme y invite Musil. On pourrait être plus précis en disant que nous sommes dans les espaces conçus par Jeanne Daniel-Nguyen, dans les tonalités posées par les lumières d'Arthur Mandô. Dans l'espace parallépipédique découpés par trois plans, le cours des actions – amener un piano, écouter quelqu'un, se raconter des blagues – butte à un coin de réel, où les choses s'aggripent. Elles s'accumulent dans un fatras – dit le glacier, tout un monde d'objets figé en un sommet de civilisation et que balade le chariot de l'ironie – ou composent au mur un rébus, soit encore une assemblée d'êtres qui demande ce qu'elle est. A la question « comment faire ? », on pourrait répondre que la réflexion précède l'action, que la décision inaugure l'action, ou que le désespoir anime une frénésie de l'action. Mais dans les temps suspendus de la scène de Caute, c'est la force du courant de l'habitude qui monte et se fait sentir. Les acteur.ices donnent par la puissance de leur amitié de jeu une autre image de l'habitude que celle de l'automatisme. Ce qui apparaît là, c'est étrangement l'habitude avec laquelle on parvient à s'installer à l'endroit de la panne ou du cahot – le piano coince, une blague tombe à l'eau, une déclaration d'amour est surprise – cette habitude avec laquelle on arrive à composer avec l'imprévu et l'inconnu.

Sur cette scène énigmatique passent diverses figures de la conscience, une ange de gouaille, un aveugle serein, un bon père de famille, un homme sans qualités. Si cette figure est dite sans qualités, c'est que celles-ci ne lui appartiennent pas en propre, qu'elles vivent leur propre vie. Elles sont détachées de la personne, qui se voudrait pourtant sise à sa propre place dans son univers familial, social, symbolique. Ces qualités, qui sont un autre nom de la texture du réel, se reflètent dans les énigmes d'objets, elles passent comme une ombre sur la figure des acteurs et actrices. On est toujours le ohne eigenschaften d'un autre, et à l'inverse on rêve cette figure sans qualités, comme une possibilité de vie qui pose une question brûlante. Que le possible soit aussi présent que le réel, que l'esquisse puisse être un état définitif de la matière et de la scène, ce sont des partis pris difficiles. Les figures de Caute l'éprouvent, elles cherchent leur place sur cette scène, troublées et aimantées par les soubresauts des empires. Trouver sa place, c'est aussi trouver un geste, un truc, sunetrouvaille. On se les emprunte, on se les échange, on se les passe.



William Fujiwara, 19 mai 2025.



D'après le roman éponyme de Robert Musil

Mise en scène Julien Vella

Avec Yanis Bouferrache, Gulliver Hecq, Charlotte Issaly, Vincent Pacaud, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel

Scénographie et construction  Jeanne Daniel-Nguyen

Lumière et son Arthur Mandô

Costumes Ninon Le Chevalier

Administration de production Florian Campos Chorda


︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés