Qu’importe le dépeçage 



conception

George Cizeron, Léo Landon-Barret et Mag Lévêque





© Maxime Grimardias




                                    



“A qui appartient cette chaussette ?”



Comment le réel est-il sectionné en identités, c'est-à-dire en des choses associées à des noms, ce nom propre garantissant qu'elles restent bien égales et identiques à elles-mêmes au cours du temps? Contrairement à ce que le titre suggère d'abord, Qu'importe le dépeçage dépèce avec application les formes par lesquelles on découpe le réel en identités – découpe qui est aussi un dépeçage, le terme ayant l'avantage de faire ressortir la violence de toute découpe.

Le double personnage Fanny/Martin – joué·e par les plus que doubles Léo Landon-Barret et George Cizeron de la compagnie le Fléau social - est une malheureuse créature de fiction d'un scénario mal ficelé, dont on suit les premiers moments de casting. Ce jeune trans en milieu rural a déterré un corps de la morgue pour le calciner et mettre ainsi en scène son suicide, iel-même partant pour une opération chirurgicale de changement de sexe à Amsterdam afin de changer d'identité. Il est permis d'avoir des doutes sur la qualité du film, et il est certain qu'on nage là en plein exotisme et sensationnalisme avec ce personnage trans.

Le premier dépeçage auquel s'applique méthodiquement le spectacle, ce sont donc les formes de l'industrie culturelle par lesquels sont représentés et signifiés les enjeux de cette personne trans : casting, émission d'enquête criminelle, membres de la brigade judiciaire. L'approche est satirique, cruelle, joyeuse. Face aux indices, l'enquêteur et son assistante – forcément –  buttent sur une possibilité impensable : que les deux personnes de Fanny et Martin puissent être un seul et même corps. Trouvaille ravageuse, une simple chaussette blanche unisexe sert de levier de jeu pour enfoncer toute la bêtise et la limite d'une classification maniaque des êtres en catégorie de genre, par exemple suivant leur odeur ou leur couleur.

Il s'agit également d'opposer des contre-récits aux récits, mais pas forcément sur le même terrain ou sur le même régime que la logique binaire et exclusive qui charcute. La mauvaise enquête fait place au mythe qui est associé à un espace symbolique où la matière, la lumière et le non-humain décentrent et élargissent ce qui se joue dans l'identité individuelle. Ces beaux chatoiements de lumière de Marie Plasse en ouverture du spectacle exposent d'emblée son geste affirmatif, au cœur et au-delà de ce travail de déconstruction de la façon dont les normes sociales prennent forme et force dans l'imaginaire social. Il y a le charme de ces reflets qui passent, de la sensation et des souvenirs qu'ils tirent, ce plaisir et ce bonheur indistinct, et c'est aussi ça l'imaginaire, au-delà des figures imaginaires oppressantes. Ces halos et taches qui passent rappellent les reflets sur l'eau par lesquels Merleau-Ponty concluait L'Œil et l'esprit – un travail minutieux là aussi de découpe de la pensée cartésienne et de son point aveugle quant au corps, à mon corps vivant dont je ne peux avoir une idée claire et distincte. Fanny et Martin survivent à la mauvaise télé-réalité, et leurs corps vivants se projettent en mille reflets de paysages, de plantes, d'animaux et de pierres.



William Fujiwara, 28 janvier 2025.
    


Texte et mise en scène George Cizeron, Léo Landon-Barret et Mag Lévêque

Jeu George Cizeron et Léo Landon-Barret

Musique et son Louise BSX, dont une chanson écrite par Thx4Crying

Costumes Madison Bycroft et Mérèndys Martine

Scénographie Rudy Gardet, assistée par Mag Lévêque et Nico Tralci

Lumière Marie Plasse

Collaboration artistique Louv Barriol, Oscar Bonnet, Maudie Cosset-Chéneau, Lucie Demange, Aaron Gabriel, Mag Lévêque, Romane Nicolas, Aez Pinay, Joyce Rivière et Lola Tillard

Titre emprunté à Sabrina Calvo
dans Les jours plissés


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