Là Personne
conception
Geoffrey Rouge-Carrassat

© Lou Rousseau FouchsVu au Théâtre de l’Athénée (salle Christian Bérard) le 20 novembre 2025
“Attention, là, une tache“
C'est ainsi, par l'allégorie, que Geoffrey Rouge-Carrassat aborde l'emprise, dans sa genèse, ses effets, et l'ancrage intime qui rend si compliquée la déprise. L'allégorie prend le risque de la généralité, que l'on pourrait craindre concernant un drame qui se joue dans les méandres ténus où se vide une subjectivité malgré soi. Mais ici, la transposition travaille dans le juste milieu entre une interprétation des nombreux enjeux de ce phénomène – manipulation, confusion, humiliation, entre autres – et les symbolisations d'une dynamique intersubjective. Ainsi de cette belle haie de petits lauriers, posée comme une séparation d'avec la tache, pensée pour tout de même embellir cet espace à soi, qui se découvrira – mais quand donc cela s'est-il produit ? – piétinée.
Paradoxalement, ce traitement allégorique de l'emprise permet d'en isoler chirurgicalement la texture relationnelle. Car seule importe la relation, indépendamment du passé et de la constitution du sujet en proie à cette emprise, indépendamment aussi de la particularité de cet autre qui va s'imposer – réduit ici à sa seule tonalité affective, tache jaune de la joie, tache devenue grise dans le mécontentement ou la réprobation. La sphère familiale – la sœur – et le monde du travail existent, mais sont relégués dans la distance des appels téléphoniques et des trajets en voiture. Progressivement, le huis clos se noue. Ce drame d'une désubjectivation, d'un vide qui va se faire en soi, au point que notre maison ou notre corps, c'est la même chose, est méconnaissable et inquiétante dans son étrangeté, l'auteur montre qu'il n'a rien d'un mystère, mais qu'il procède logiquement d'un amour insensé donné à un inconnu, dont la seule présence et le seul regard ont enfin peuplé ce premier milieu du soi, autrement désolé. Et son écriture prouve qu'on s'en libère notamment par la langue, par l'imagination qui délire le fantasme, où le jeu ailleurs sinon retenu de l'acteur trouve un contrepoint ici expansif et libérateur. Le jeu imaginaire donne à réaliser, à exacerber le vécu et constitue des éclats de conscience.
Étonnamment, la fin réouvre l'allégorie, et la dissémine. Bien qu'allégorique, ce parcours de l'emprise que l'on a traversé n'est pas un modèle ou un protocole. C'est une emprise vécue dans un corps, dans une maison, parmi d'autres voisines. La scénographie, là encore de Geoffrey Rouge-Carrassat, trouve une fin qui évite de conclure, et laisse, dans la malice du faiseur de théâtre, apparaître l'ombre d'un triste clown – l'esprit de l'emprise ? – planant sur tout le spectre de la vie sociale.
William Fujiwara, 2 décembre 2025.
Texte, mise en scène et interprétation Geoffrey Rouge-Carrassat
Création musicale et sonore Nicolas Daussy
Création lumières Emma Schler
