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Maria


conception 

Gaëlle Hermant et Olivia Barron






© Simon Gosselin


Vu au Théâtre du Chariot le 03 octobre 2025





“Répondre à la demande de futur


Gaëlle Hermant et Olivia Barron dressent le portrait de la cartomancienne parisienne Maria Vassali à travers trois figures de sa clientèle pour mettre en lumière l’enjeu de sociabilité spécifique que représente la voyance aujourd'hui. Grâce à des entretiens menés avec curiosité, tendresse et soin avec Maria Vassali elle-même,  les deux portraitistes parviennent à décrire cet art de l’accompagnement par la parole en contournant le procès en charlatanisme ou en naïveté pour déployer un questionnement plus large sur la place du futur dans l’organisation de nos vies en société néolibérale.

La comédienne Magaly Godenaire s’avance au centre d’un dispositif en bifrontal pour un avant-propos sur son lien à la personne réelle de Maria Vassali. Elle se présente au public comme passeuse du récit de Maria avec les outils du théâtre. La complicité entre la technique du portrait et le principe de la voyance est alors scellée avec beaucoup de tendresse et d’exigence. C’est dans le cadre d’un grand respect pour l’autre - désigné comme autre - et de sa complexité singulière que se pose la possibilité d’apparaître en point de transmission et d’accueil de ce qu’iel a en propre, son histoire. Cela vaut pour l’art du portrait au théâtre comme pour l’art de la voyance dans un salon.

La simplicité de cette dramaturgie trouve une efficacité subtile et douce en décrivant la figure de Maria et la pratique du tirage en regard des demandes profondément humaines que lui adressent des personnes en proie au mystère fondamental de l’existence, celui de connaître la direction à donner à sa vie.  La typologie des personnes qui sollicitent Maria est variée mais, au fur et à mesure des séances, un sort commun se dessine qui finit par englober le public lui-même : l’incertitude quant à la venue du futur et l’amélioration de son propre sort constitue un mouvement vers l’avant agité dans lequel tout le monde est pris. Cela n’ôte rien à la pertinence de l’analyse des systèmes de domination et d’accumulation de privilèges de le dire : bien que devant le futur, nous ne soyons pas tous égaux, la question du sens de la vie travaille les vivants depuis longtemps; peut-être même depuis toujours. La question de savoir s’il faut être pour ou contre la voyance est finalement inopérante car inintéressante. Les dramaturges-portraitistes réussissent à suspendre et retrancher le jugement. Elles installent le public derrière le quatrième mur pendant trois séances (théâtrales) de voyance. Ainsi bien protégé, iel peut observer sans s’impliquer personnellement. Maria ré-ouvre le rideau de l’illusion entre chaque séance pour entrer en relation elle-même avec le public et lui raconter son histoire. Elle fait part de son rapport personnel aux cartes qui est loin d’être apologétique. Ainsi, le doute curieux à propos de la voyance est partagé par toustes, Maria y compris.

Ce qui compte alors, pour le public comme pour les client·e·s du récit, c’est d’entrer en relation avec Maria qui se met elle-même en disposition d’accueillir des mots, des images, des pistes pour affronter la question du futur et creuser un chemin vers l’avant à l’échelle personnelle. Ce qui compte, c’est de n’être pas seul·e au seuil du vertige: que va-t-il m’arriver ? Ce qui compte, c’est qu’au souhait d’y voir clair dans le brouillard épais de l’existence et d’apaiser le manque ou les chagrins profonds, répond l’espoir. Ce qui compte, c'est que l’espoir travaille l’esprit en cherchant à vouloir-voir et vouloir-savoir. Ce qui compte, enfin, c’est d’observer sa propre rationalité s’exercer en front à de l’inconnu : qu’est-ce qui nous attend ?

Des points de similitude entre la pratique du théâtre et celle de la voyance se dessinent alors. Elles proposent toutes deux un décloisonnement de la vie en société néolibérale, qui prévoit de manière totalisante notre adaptation désirante au capitalisme financiarisé. Elles se chargent de la représentation des dimensions immatérielles de nos vies et dégagent (peut-être) des forces pour nourrir le souhait de voir, en front à de l’inconnu, se dégager quelque chose de l’ordre d’un point chaud désirable vers lequel tendre ses intentions. Elles n’apportent pas de solution ou des vérités rassurantes mais elles posent la question de la direction salutaire pour soi et pour le collectif à partir de la représentation du souhait ou de l’intuition. Dans ces espaces dédiés au “voir et entendre”, la rationalité scientifique néolibérale est portée dans ses retranchements; elle n’a plus réponse à tout. S’y cultive une fonction de l’anticipation différente : on tente d’échapper au désespoir et à la clôture du mode dominant d’organisation de la vie où la catégorie du futur est souvent décrite comme une matière à faire advenir à partir de l’existant et qui ne “pré-voit” donc rien qui concerne l'avenir heureux. Dans le salon de Maria, comme au théâtre, chacun·e est invité à plonger dans une modalité de croyance et de la vision où le réel est pris en tenaille entre plusieurs types de temporalités et vérités, mais certainement pas prisonnier du donné et du passé : il se présente chargé de possibilités, en train d’advenir, selon un processus vers l’avant où tout n’est pas encore joué d’avance. La musique, composée par Viviane Helary et jouée en duo au plateau avec la violoncelliste Claudine Pauly, accompagne l’ensemble du spectacle et a, pour cela, un rôle majeur d’épaississant vibratoire et résonateur du réel chargé de forces et de couches de sens encore suspendues. La musique semble indiquer que les jeux ne sont pas encore faits, il y a du non-encore déterminé. Finalement, il semble assez curieux voire suspect que seule la rationalité économique ou scientifique néolibérale s’octroie la légitimité d’entrevoir le futur de nos jours et qu’elle discrédite autant toute autre forme de métaphysique séculière. Gaëlle Hermant et Olivia ont réussi leur pari de nous inviter à côtoyer la voyance avec curiosité pour curiosifier en retour, les données du réel dans lesquelles nous pensons à notre avenir.





Anne-Laure Thumerel,  2 décembre 2025. 




Ecrit par Olivia Barron et Gaëlle Hermant

Inspiré d'entretiens réalisés avec la cartomancienne Maria Vassalli

mise en scène Gaëlle Hermant

Distribution John Arnold, Claire Duchêne, Jules Garreau, Magaly Godenaire, Viviane Hélary, Claudine Pauly

Scénographie Gaëlle Hermant


Lumière, régie générale  Benoît Laurent

Musique Viviane Hélary

Son Léo Rossi-Roth

Costumes Noé Quilichini


Régie plateau Camille Bourmault


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