BARZOÏ
texte
GABRIELLA RAULT ET AURÉLIEN FONTAINE
mise en scène
GABRIELLA RAULT
© DR
Vu aux Déchargeurs (Paris) le 16 février 2023
“Petite mort“
Le théâtre des déchargeurs présentait au mois de février Barzoï du Mustang collectif. Le barzoï est une race de lévrier, au poil particulièrement abondant, au nez singulièrement allongé, d’une allure élégante et grotesque. Dans une banlieue pavillonnaire, une famille composée d’une fratrie de deux frères et une sœur, d’un père - en voyage - et d’une mère - décédée - ont eu la fantaisie de choisir pour animal de compagnie un barzoï.
Ce barzoï, nous ne le verrons pas, puisque le spectacle s’ouvre sur sa mort, ou plutôt sur ce qui s’impose assez rapidement : la prise en charge du cadavre. Un des frères, Paul, emballe le corps du chien. Un ami d’enfance le rejoint, prend part à la peine malgré la puanteur de la décomposition. Ranger au sous-sol un cadavre emballé dans un sac de poubelle entre un pack de bière et un sachet d’épinards congelés symbolise bien l’embarras de ce jeune frère, coupable d’une maladresse fatale : avoir préparé un guacamole et laisser le chien s’en goinfrer jusqu’à l’intoxication mortelle. C’est un motif dérisoire, et le spectacle prend en charge toutes les difficultés afférentes. Comment accepter non seulement la mort, mais une mort excessivement contingente, et pourtant irrévocable ? Y compris la vie, ici, de cet animal de compagnie.
La sœur a rassemblé ses deux frères pour enquêter sous la forme d’interview sur leur enfance et leur éducation, assumée par ce père seul. C’est un projet scolaire, mais l’intention est bien d’ouvrir à partir de ce prétexte l’espace d’une réflexion, d’un retour sur les peines et les joies d’une vie familiale déséquilibrée, et les frayages singuliers que chacun a inventés. Au moment de revenir sur cette première jeunesse, d’en rassembler le sens pour l’éclairer d’une nouvelle lumière, cette mort du chien par intoxication au guacamole est un évènement dérisoire tout simplement indicible. Le jeu des acteur.ices et l’écriture de Gabriella Rault et d’Aurélien Fontaine - également en jeu - fait de cette première tentative d’annoncer la mort un échec comique mais qui expose aussi deux dynamiques incompatibles et vouées au quiproquo.
Le pari du spectacle pourrait être d’envisager le dérisoire, l’insignifiance mortelle, comme une épreuve. Une épreuve d’un autre type que cette parrhèsia où il s’agit de dire la vérité au péril des relations amicales et familiales où notre vie s’est installée. Cette histoire de guacomole rend risible l’incrédulité face à la mort, et donc force à trouver une autre explication. Le jeune frère part à la recherche du chien, force le garage des voisins. On le raisonne, mais le pire est encore à venir avec le père. Plutôt que de dire les choses, la bienveillance de la sœur conduit au mensonge. De là ils doivent inventer l’histoire grotesque d’un enlèvement de chien. Ces gens ne savent pas s’aimer, parce que par amour ils déforment la réalité. L’épreuve n’est donc pas pour le personnage portant la parole, mais pour le public. Car cette mort, rendue indicible par dérision, manifeste la trame de mauvaise foi, de clairvoyance manquée, de sincérité impuissante qui composent ces échanges branlants. Les échecs à dire la vérité- la mort- livre une analyse inversée que celle de l’enquête que la sœur voulait mener à la lumière de sa caméra. La vérité des affects est une carpe qu’il faut attraper par un appât d’insignifiance. La mort accidentelle du chien fait que, de ces deux modes de l’enquête et de l’exposition des passions, le discours de l’enquête devient le prétexte de la scène, et se dissout en elle. Mais le risque de la dérision est d’affaiblir le sens jusqu’à la banalité. Il suffisait de dire les choses, et il a suffi d’un coup de fil du père au vétérinaire pour comprendre la situation. C’est donc la croquemort -figure funestement étatique endossée par Gabrielle Rault- qui vient pour accomplir cette tâche menée avec une tendre maladresse en ouverture du spectacle. Pour un dernier salut, les gestes maladroits s’effacent en musique. Une dernière forme surgit, le cortège funèbre. Car il reste les souvenirs, les légendes de jeux d’enfants, les tubes de la radio, et tout ceci permet de porter le corps, et de lui faire quitter la scène.
William Fujiwara, 30 mars 2023.
Distribution
Texte Gabriella Rault, Aurélien Fontaine
Mise en scène Gabriella Rault
Collaboration artistique, lumières Coriane Alcalde
Jeu Nusch Batut Guiraud, Aurélien Fontaine, Léa Negreira, Peter Sfeir, Milo Taft