HEIMWEH | MAL DU PAYS


mise en scène


GABRIEL SPARTI






© DR

Vu au Théâtre Garonne, dans le cadre du Festival Supernova - 19 novembre 2023

                                    



“Le calme est tellement tranquille“




« En Suisse, tout doit toujours être calme et l’on exprime toujours cette idée de calme sous une forme impérative. On dit : du calme ! du calme ! comme si on disait impérativement la mort ! la mort ! »

Cet extrait du Mars de Fritz Zorn, brûlante et bouleversante satire d’une certaine bourgeoisie suisse-allemande parue en 1975, semble comme filé par la création de Gabriel Sparti. Satire toutefois plus oblique que celle de Zorn, plus rare en coups de marteaux, Heimweh / Mal du pays ne mentionne jamais la Suisse mais préfère un régime spectaculaire qui épouse et ironise à la fois le régime sensible du pays tranquille. Tout semble commencer hors du langage théâtral, avec des souvenirs de littérature et de peinture. Un étranger, relai topique de la satire littéraire car dépositaire d’un regard relativiste sur les mœurs et maux de la contrée, émerge des arches austères d’une gare modeste traversée par des arcs lumineux aux angles changeants. Cette vie lente de l’architecture, moment pictural à la Edward Gordon Craig, suggère déjà l’inquiétante permanence d’un paysage. L’impassibilité de ce lac sans événemens ni ricochets que la parole de l’Étranger va continuer à brosser. Sans toutefois réussir - l’inspiration de Trigorine face au lac russe de La Mouette semblait plus attisée - à faire émerger grâce à lui un bon petit récit. 



La contemplation se change alors en investigation : trois figures suisses (formule de Gabriel Sparti) sont convoquées par l’Étranger à un entretien collectif qui tourne à la cacophonie de murmures. Par-delà la grande diversité des présences circule une commune manière d’être au monde des plus cotonneuses. L’ironie du spectacle préserve toujours sa qualité diffuse et suggestive : c’est le gestus de ces corps retenus qui prend le relai du discours, de ces corps qui ne parviennent ni à se raconter ni à s’identifier, dont les circonvolutions précautionneuses dispersent la droiture des questions. Et Gabriel Sparti échappe largement au monolithisme de l’allégorie pamphlétaire. Car son dispositif à figures est repoussé par sa totale performativité : les trois Suisses s’improvisent chaque soir (patronyme compris). Leur gêne rigoureuse, que le théâtre aurait pu rigidifier, gagne alors une vitalité latente. Ainsi, la sous-exposition de ces trois êtres vient autant grossir l’inertie suisse que dégager une intériorité et une imprévisibilité qui échappent au reportage autoritaire de l’Étranger. Le quatuor final qui se dessine sur le banc - Suisses et Étranger réuni.e.s - est bien l’ultime signe d’un spectacle plus grand que sa diatribe. Le signe d’un geste âpre, radical, mais qui dans ses infinis décalages reste des plus ouverts et des plus accueillants.


Pierre Lesquelen, 5 décembre 2023.
    

Distribution 

Mise en scène Gabriel Sparti

Avec Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs

Écriture collective Gabriel Sparti, Yann-Guewenn Basset, Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs

Création lumière et sonore Nora Boulanger-Hirsch

Scénographie Mathilde Cordier

Costumes Solène Valentin

Dramaturgie Yann-Guewen Basset

Répétiteur pour les chants Émile Schaffner











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