DON CARLOS


conception et mise en scène


FERDINAND FLAME





© Joséphine Berthou 

Vu au Théâtre de la Commune (Aubervilliers) le 8 mars 2024

                                    


“La Voix qui voyait tout“


Ferdinand Flame et la dramaturge Rachel de Dardel affichaient une adaptation télé-réalisante d’un drame de Schiller. N’est pas plus romantique dans l’âme que celui.celle qui entend trahir le Romantisme.

Telle est l’inoxydable loi qu’incarne ce Don Carlos, promettant sur le papier une rencontre entre Schiller et Loana mais préférant à cette incertaine analogie un acte performatif hautement débridé, qui déploie une forte éthique de l’acteur.rice et de la représentation. Car tous les vrais gestes romantiques sont des sorties de route, des entraves aux cadres montrées comme telles, des caprices refondateurs. Ce n’est sûrement pas la première fois que des acteur.rice.s nous accueillent en conseillant de brûler la bible de salle, de tordre le cou à la sainte note d’intention. Sauf que cela ne sonne plus ici comme un vieil outrage mais comme un principe ludique partagé politiquement par cette jeune génération d’acteur.rices en haine joyeuse de metteur en scène. Lui dont la Voix qui voit tout, depuis la régie, n’appelle plus tellement un épanchement de secrets mais ordonne des images corsetées (« aimez-vous »…).

Mais les interprètes retournent chacune de ses injonctions en protocoles de jeu (« Les acteurs se désinhibent », « Les acteurs créent de l’intimité »…), dans tout ce que le protocole a d’ambivalent – être à la fois une règle et un cadre libérant d’indomptables performances. Aussi le texte qui s’écrit et le spectacle qui se joue entrent-ils en constante résistance avec cette voix à l’omniscience éborgnée, finalement mise à la porte. C’est ainsi que la télé-réalité, loin d’être convoquée comme espace social vicié dont il s’agirait encore d’exhumer les travers – le roman contemporain s’est souvent lancé dans cette facile et inconséquente satire –, est judicieusement sollicitée comme pur dispositif de parole et de représentation susceptible de faire corps avec un certain régime théâtral – celui qui dirige et viole les intimités, qui retouche les êtres en personas. Comme tous les vrais actes romantiques (Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy envisageaient dans L’Absolu littéraire la flagrante persistance de son paradigme du XIXe siècle à nos jours), Don Carlos devient la critique agissante d’un monde au sens flottant et des images paradoxalement trop fermes qu’il produit.

Un monde face auquel le théâtre, lorsqu’il est viscéralement investi comme ici, résiste par sa brute vitalité et par ses images sans cadre. Aussi le spectacle n’a-t-il rien d’un manifeste performé, enlisé dans une négativité représentative. Son ludisme de chaque instant produit et jamais ne ruine. Les clichés vomis, les menuets déboutonnés, les scènes de répertoire minées d’anachronisme, le pamphlet des corps contre le goût contemporain des systèmes (acte intense de Claire Toubin) déplient une nouvelle mythologie romantique – celle d’une jeune génération plus que mélancolique – davantage qu’ils ne détruisent l’ancienne. L’antique sturm une drang a offert des braises fumantes et pas seulement des vieux rêves.

Nous aurons tenté dans cette critique de faire oublier nous aussi ce metteur en scène au patronyme romantiquement enflammé. Cette lâche prétérition dit toutefois à quel point nous attendons vivement ses prochaines disparitions.
 


Pierre Lesquelen, 20 mai 2024.
    


Distribution 

conception et mise en scène Ferdinand Flame

aide à la conception et dramaturgie Rachel De Dardel

écriture du texte ensemble de l’équipe artistique

jeu Claire Toubin, Jeanne Berger, Guillaume Gendreau, Oscar Montaz

création lumière et régie générale Marco Hollinger

création sonore Baudouin Rencurel

scénographie-costume Antonin Fassio

administration, production, diffusion Loyse Delhomme et Maya Abraham










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