SURPRISE PARTI

écriture et mise en scène

FAUSTINE NOGUÈS




© Madie B

Vu au Festival d’Avignon (OFF) - Théâtre du Train Bleu -  12 juillet 2022


                                    

“Mort dans l’urne”



La comédie politique de Faustine Noguès croque une époque d’urnes imprévisibles et de discours foireux, où le seul fait de moquer la rhétorique suffit à imposer son langage.

La scène, espace sans apprêt occupé par des éléments de décor métonymiques, est une zone agitée, sans centre et sans ordre, ne faisant qu’une avec l’événement qui la frappe. Mettre en scène théâtralement une menace éphémère de l’armature politique pour mieux révéler la permanence du pouvoir rejoint une vieille tradition shakespearienne. Faire de la scène le miroir frénétique d’une histoire politique en crise s’inscrit dans une tendance plus actuelle du théâtre (celle du « Je m’en vais mais l’État demeure » d’Hugues Duchesne ou du « Ceux qui errent ne se trompent pas » de Maelle Poësy, par exemple). Dans « Surprise parti », la scène devient le sismographe exhaustif de l’événement politique, que la fable enregistre ici linéairement, de son origine à sa chute (en trois parties assez repérables : l’emballement des sondages et l’élection inattendue de Jón Gnarr, l’exercice déceptif du pouvoir, le renoncement progressif).

Choisir une figure d’humoriste comme héros trublion aurait pu être fructueux pour régénérer le régime satirique lui-même. Car l’humour, comme nous le souffle Jacques Rancière, est un décalage parfois imperceptible qui introduit de l’écart et du dissensus dans la représentation. Sauf que dans « Surprise Parti », l’humoriste Jón Gnarr est moins une présence singulière qui imposerait sa fantaisie au monde qui l’entoure et à la comédie qui le détoure qu’une figure, instrumentalisée par la dramaturgie elle-même. La trajectoire du personnage en atteste. Au départ, Jón Gnarr est une bouche impertinente qui vient révéler et transgresser la mécanique des discours (les candidat.e.s à l’élection farcissent leur speech d’allitérations ou d’assonances choisies, lui est le hors-système et le hors-syntaxe). Puis, lorsque Gnarr occupe le fauteuil du maire, son effraction linguistique paraît soudainement éteinte. Le personnage n’est plus qu’un actant optique. C’est par son regard que l’inertie d’une institution municipale nous apparaît (vision purement critique, de surcroît sans grande « surprise »). Cette métamorphose soudaine de l’acteur indomptable en spectateur passif pourrait n’être qu’un reflet dramaturgique de ses illusions perdues. Sauf que Jón Gnarr ne rentre pas seulement dans les rangs malades du pouvoir mais dans ceux, tout aussi usités, d’un régime satirique dont il devient le faire-valoir et non la puissance active.

Si l’humoriste semble inapte à réformer, c’est aussi parce que Faustine Noguès ne lui laisse pas l’occasion de brigander sa comédie. Une comédie feignant de mobiliser un regard singulier pour investir les institutions mais qui, au fond, cadre d’elle-même ce qu’elle veut montrer d’elles. Nous aurions aimé que Jón Gnarr ait plus de complexité et surtout d’intériorité pour que sa présence soit dissensuelle. Peut-être qu’en multipliant les contrepoints (comme cette scène inaugurale des draps entachés par des corps sur-endettés, « projet de décoration participatif » qui reste une incartade comique et critique sans vraie suite), le squelette dramatique trop bien huilé aurait gagné des strates de signification et nous aurait émancipé de ses intentions édifiantes. La piste de l’inadéquation entre la vivacité du mouvement populaire et l’accalmie imposée par le pouvoir est un enjeu passionnant mais là encore tout juste ébauché. Ainsi, « Surprise parti » thématise l’humour mais ne parvient pas à n’être qu’une gigantesque blague. Historiquement, la blague possède bel et bien une puissance de désacralisation et de subversion, elle est politique en ce qu’elle reconfigure d’elle-même un ordre donné. « La politique ce n’est pas que des blagues » nous prévient-on au début du spectacle. Jón Gnarr était donc mort dans l’urne.



Pierre Lesquelen, 19 juillet 2022


Distribution

Texte et mise en scène Faustine Noguès

Avec
Léa Delmart, Anna Fournier, Glenn Marausse, Nino Rocher, Damien Sobieraff, Blanche Sottou

Remerciements à
Rafaela Jirkovsky et Ulysse Robin

Avec la participation de
Lia Khizioua, Louison Alix et Pierre Hancisse

Scénographie
Alice Girardet

Création son
Colombine Jacquemont

Création lumière et vidéo
Zoé Dada

Collaboration artistique
Laurine Frédéric


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