UN SENTIMENT DE VIE

texte


CLAUDINE GALEA


mise en scène


ÉMILIE CHARRIOT







© Jean-Louis Fernandez

Vu au Théâtre National de Strasbourg - 17 janvier 2023


                                    

“Ouvroir de vie potentielle“




L’autrice Claudine Galea affectionne, depuis Au bord, les exercices d’écriture qui sont avant tout des mises en rapport. Ce texte puissamment intime et organique de 2010 évoquait sa relation avec un poème de Dominique Fourcade, tandis qu’Un sentiment de vie, composé dix ans plus tard, se construit avec et contre My secret garden de Falk Richter.

Ce sentiment de vie (que Jean-Michel Rabeux avait crée l’an passé à la Bastille), est un texte moins vertigineux que tortueux, truffé de circonvolutions sur la difficulté à dire le père. Le méta omnipotent fait souvent trébucher la quête sublime : au lieu d’être le point aveugle captivant du monologue, le père impossible à écrire semble devenir le prétexte à des réflexions et des formules sur l’acte d’écrire. La gestation elle-même farfelue de l’œuvre (d’un petit texte de commande pour une revue, elle est devenue sans trop le vouloir un copieux monologue) peuvent évidemment expliquer sa théâtralité discutable et surtout sa maigreur politique. Ce qu’il murmure d’une masculinité passée est effectivement passionnant et beaucoup plus inédit que ce qu’il dit de l’art, mais son sujet devient paradoxalement un punctum ici, motif percutant mais rapidement dédit (l’écriture procède par irruptions/interruptions), petit sentier, comme dirait Calvino, pris dans les mailles d’un encombrant nid d’araignées.

La pertinence de la mise en scène d’Émilie Chariot est alors d’avoir envisagé le plateau comme ouvroir radical de l’écriture, sans chercher à thématiser ou dramatiser quelque fil textuel que ce soit. Sa qualité d’effacement (en apparence évidemment, car les variations lumineuses qui refroidissent imperceptiblement le corps de Dréville montrent à quel point l’écriture scénique est partout), matérialisée par un plateau vide mais qui n’affiche aucune radicalité (les vieux pendrillons noirs sont encore là), et relayée par la blancheur performative de Valérie Dréville, apportent à la représentation une douceur et une puissance d’accueil qui transcendent l’âpreté et la cérébralité du matériau. De ce texte quelque peu niché (pas sûr que ce « Falk », par exemple, dise quelque chose aux non amateur.rice.s de théâtre), Émilie Charriot a su alors tirer un spectacle adressé, irrigué par ce « sentiment de vie » que l’écriture recherche et que son théâtre trouve.



Pierre Lesquelen, 8 février 2023.




Distribution

Texte Claudine Galea

Mise en scène Émilie Charriot

Avec Valérie Dréville

Lumière Édouard Hugli

Costumes Émilie Loiseau





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