AMER | AMER


conception


ELSA RAUCHS, JÉRÔME MICHEZ







© Patrick Galbats

Vu au Théâtre Olympia CDN de Tours (salle de répétition), dans le cadre du Festival WET le 25 mars 2023


                                    

“Dors petit enfant“



Quand une représentation court le plus grand risque et que la prouesse performative qu’elle peut ou non déployer opère miraculeusement devant nous, alors le théâtre devient un espace relationnel tout à fait irremplaçable. AMER | AMER de Jérôme Michez et Elsa Rauchs, le 25 mars 2023 à 18h, était de ces spectacles là.

Cousu autant par l’acteur-auteur (Jérôme Michez) que par un.e spectateur.rice qui vient spontanément entrer dans le rôle chaque fois hasardeux d’une mère (et ce pendant 1h20), AMER | AMER s’ancre dans une installation scénographique, avec autant d’outils et d’accessoires qui seront ou non employés selon le parcours dessiné, espace laissant tous les possibles du plateau ouverts. L’intelligence et l’éthique théâtrale jamais démenties d’AMER | AMER résident surtout dans la place réellement consentie et non compassée de la spectatrice - une femme d’une cinquantaine d’années ce soir là - qui n’est jamais une cobaye dominée par la dramaturgie (statut que les spectateur.rice.s endossent trop souvent dans les expériences dites participatives) mais une réelle performeuse, avec toute l’intégrité et le halo de possibilités offerts par ce statut. La spectatrice peut choisir ou bien le confort de la répétition - elle réitère les mots lancés par le fils en lui adressant - ou bien l’audace de l’invention - lorsque celle-ci veut bien « parler du bout des lèvres » (air barbarien entendu) et emporte alors le spectacle vers la pure improvisation.

Étendre sur tout un processus un geste participatif que les artistes emploient souvent comme respiration performative, voire comme numéro aux effets humoristiques obligés, devait permettre de transgresser le plaisir amusé et le simple effet de présence (être là ne suffit pas entend-on d’ailleurs) générés par un tel procédé, au risque de l’essoufflement dramaturgique et de la complaisance dans l’attraction spectaculaire. Le pari est radicalement tenu ici, car AMER AMER possède l’art, jusqu’alors inéprouvé au théâtre, de soulever progressivement et insidueusement son climat performatif, ses signes économes et son exercice sans filet par de profondes strates fictionnelles. Il réussit même à faire de la mère improvisée une véritable protagoniste dont le secret - elle vient de traverser une épreuve qui n’est jamais explicitée - dilate la performance. L’effondrement du père absent, la nageuse au lointain, la maison battue par l’orage sont autant d’évènement suggestifs qui gorgent l’expérience joueuse d’un tragique quotidien digne d’une pièce de Fosse, d’un roman de Vesaas, rappelant parfois les fabuleux Passagers de la nuit de Mikhaël Hers. La performance délimitée, surveillée et impulsée par la metteure en scène Elsa Rauchs dont la présence périphérique compte tout autant que celle des interprètes et des régisseur.se.s, déploie alors un temps rare, suspendu et regardé par la finitude, qui ne fait toujours qu’un avec le temps fictif et précieux de la retrouvaille. L’intrication de la vie et de la performance - « mon moment c’est maintenant, ce que j’essaye de faire c’est que sa tienne » -, si finement nouée par J. Michez et E. Rauchs, fait d’AMER AMER une ode discrètement réflexive aux liens tenaces, aux mystères épais que le théâtre peut faire naître par la fortuité du jeu, par l’alignement imprévu des signes disparates qu’il dispose, d’autant plus intensément lorsque l’on sent qu’une telle alchimie se produit rarement.




Pierre Lesquelen, 20 avril 2023.




Distribution 

mise en scène Elsa Rauchs et Jérôme Michez

texte Jérôme Michez

jeu Jérôme Michez  en alternance avec Tom Geels

scénographie Lisa Kohl

création sonore Quentin Voisey

lumières et direction technique Suzanna Bauer en alternance avec Adèle Evans



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