“Rien n’est faux mais tout est inventé”
Partant de leurs vécus en tant que militantes - dont elles rendent compte dans ses joies et ses échecs, et de son risque bien réel de mise à l’écart professionnel – le collectif #MeTooThéâtre prend en charge sa propre représentation pour renverser les imaginaires, ceux qui déterminent insidieusement la gestion des VSSH dans l’écosystème théâtral.
Les actrices mentent. Elles sont payées pour ça. Elles savent le faire, c’est Freud qui l’a dit, iels le disent au commissariat, au tribunal, dans le bureau des directeurices, dans les coulisses, aux pots de premières et entre deux portes. Pathologiquement atteintes, elles veulent plaire et se faire plaindre, alors sûrement qu’elles l’ont mérité, et puis peu importe, elles ne disent jamais la vérité. On ne peut pas les croire, elles ont tout inventé. “Histrioniques”, c’est le mot, c’est le mythe, c’est ça le diagnostic, la victoire du rapport d’expertise psychiatrique qui décrédibilise celle qui accuse l’artiste très crédible, très entouré, très programmé, très subventionné, très émergé. C’est le gros doigt derrière lequel se cache les complices, les lâches et les coupables.
Cet imaginaire de représentation là, inconscient, on vient avec, dans le coin de la tête. On s’attend à voir des folles sur scène. Quelque part on a payé pour ça, elles sont payées pour ça - d’habitude. Pas aujourd’hui, pas ici, pas ce soir. Elles se présentent à nous en tant qu'interprète “anonyme”, chut faut pas dire qu’on milite féministes, on sait jamais qui pourrait nous entendre à défaut de nous écouter. On va vous montrer un truc, mais c’est pas nous, c’est pour de faux même si c’est vrai. Le collectif #MeTooThéâtre se met en scène, on les voit sur Messengers, sidéré.es, le fil des messages et émojis qui pleuvent, au milieu des témoignages incessants de VSSH qui raclent et cognent contre le quotidien des militantes, portables en poche. On suit le signalement et l’accompagnement d’une plainte pour viol, où les noms sont tronqués, les initiales de rigueur, on veut pas être accusées de diffamation, même si bien sûr tout est inventé.
La victime, on ne la verra pas ; ce n'est pas son procès aujourd’hui. En parallèle, cas d’école : le violeur pleure en faisant du bruit, le grand directeur de théâtre fume sa cigarette électronique en négociant l’innocence de son artiste. Pas question de rejouer le naturalisme documenté qui ne dit rien de leur absurde défense et brutalise celleux qu’on ne croie pas, l’artiste en question est un bouffon en costume baroque avec chapeau à plume, flots de larmes au sérum physiologique, mouchage dans le rideau de scène, alexandrins consternant de ressemblance avec les vraies tribunes publiées dans devrais journaux par de vrai.es professionel.les défendant à grands cris leur vraie réputation vraiment outragée. Dans cette ronde farcesque et cathartique, des grands hommes de théâtre en toges qui se congratulent et des fonctionnaires super héroïques à la fois contenté.es et dépassé·es par l’inutilité de leurs fascicules, les militantes demeurent, fil rouge : accompagner la victime, rendre compte ironiques et théâtrales de leurs doutes et leurs disputes sororales. Elles montrent l’intérieur de ce qui n’est pas leur travail, mais que quelqu’un.e doit bien faire et qu’elles font.
Mettez-leur un costume, plus un costard. Jouer les monstres ridicules, voilà qui fait du bien à celles qu’on accuse de faire leur comédienne, en même temps qu’on leur dit de la mettre en veilleuse. On pend les accusés par le rideau dans lequel ils se drapent : les codes du théâtre classiques, hégémoniques, bourgeois, et ses mythologies. Déformés comiquement, rendus archétypes de leur propre cliché, le masquage théâtrale rend plus audible qu’à l’ordinaire la mécanique de leur rhétorique. Représentés comme ils se présentent au monde, en deus artistique, leurs discours résonnent dans ce qu’ils sont : une fiction esthétisante aberrante. Ils se prennent pour de l’art, elles les jouent avec art, et nous voyons des bouffons. Le mythe de l’artiste immaculé, vierge du crime comme du soupçon, s’émiette sous l’outrance de cette représentation. Les logiques de protections mutuelles, de négation, de minimisations, de victimisations et d’intimidations à l'oeuvre dans un entre-soi qui ne veut pas entendre que “les artistes aussi tabassent des femmes” sont révélées comme la comédie absurde qu’elles sont, la perpétuation rance de clichés qui ne servent que leurs intérêts et qu’ils érigent en totem du théâtre. À l’image de la scénographie, les mythes patriarches tombent par à-coups sous les rires du public.
Si ces hommes-là restent de faux monstres, les paroles de témoignages qui émergent sont, elles, bien réelles. Leur prise en charge se fait sans déformation (on déforme bien assez leurs propos ici, là-bas, dehors). Sur cette scène donc, les faits, les plaidoyers, les chiffres, apparaissent documentaires, démystifiés - et froids et inquiétants, comme ils le sont. Au milieu du grotesque des agresseur·euses et de leurs allié·es, les vécus rapportés s’infiltrent, font grincer la machine, forcent l’écoute, obligent nos cerveaux désensibilisés à sortir de leur sidération passive. Si les militantes jouent à se cacher, disparaître derrière leur double comédienne - elles n’ont “rien à voir avec le collectif MeTooThéâtre”- elles réaffirment en actes, depuis cet endroit faussement fictionnel, la réalité tangible des VSSH commises impunément. L’ironie glaçante du pour de faux qu’elles installent comme cadre de représentation, et réactivent tout au long du spectacle, cisaille nos impensés incorporés sur la présomption de mensonge collée au front des victimes et signalent clandestinement l’inaction généralisée : “Tout est vrai mais rien n’a d’impact sur le réel” - nous ont-elles prévenu.es. Nous ne sommes pas sûr.es d’en être rassuré·es.
Les artistes agresseur.euses ne sont pas des génies in-condamnables. Iels sont leur propre fiction putréfiée à laquelle iels veulent nous faire croire. Retournant la représentation hégémonique, les membres du collectif MeeToo Théâtre écartèlent les sublimations complices et les silences admis. Leur ironie remet le réel à sa place. L’histrionisme s’inverse. Quand la présomption d’innocence est l’avant-garde de la certitude quasi-systématique de l’acquittement judiciaire, social et professionnel, Les Histrioniques poursuit le travail des militantes-artistes qui l’ont crée en bâtissant des représentations, nourries de leurs expériences invisibilisées et niées, qui permettent de repenser la distribution de la crédibilité.
Brune Martin et Evodie Gonzalez, 28 janvier 2025.
Une création de et avec Louise Brzezowska-Dudek, Nadège Cathelineau, Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann, Julie Ménard et Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices lumières Juliette Besançon et Pauline Guyonnet
Scénographe et plasticienne Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices Sonores Elisa Monteil et Jehanne Cretin-Maitenaz
Administration et Production Par tous les temps