Beretta 68
Beretta 68
conception
Collectif FASP
© Jean-Louis Fernandez
Vu au Théâtre National de Strasbourg le 14 octobre 2023
“Il faut représenter une menace“
Dans le lignage du Collectif Marthe ou encore des Filles de Simone qui choisissent souvent de réactiver théâtralement des ouvrages féministes, les membres du collectif FASP cherchent un endroit de connexion, depuis leur présent, avec le SCUM Manifesto de Valérie Solanas (1967).
Ce qui semble ontologiquement politique dans le fait de s’emparer d’un essai est que celui-ci détient une matière ouverte, une écriture à la frontière du subjectif et de l’objectif, à la scientificité et à la discursivité toujours relativisée. À travers cette prose intranquille l’essai lance un appel. Il offre en effet une réflexion tâtonnante qui n’entend pas stabiliser une pensée mais qui s’énonce dans l’attente d’un dépassement, d’un partage, d’une polyphonie, d’une contradiction, d’une revitalisation par d’autres voix que la sienne susceptibles de le remettre en mouvement et en acte. Et c’est chose faite dès que l’essai devient théâtre. Aussi le spectacle de FASP est-il naturellement bidirectionnel : tantôt il cherche à faire entendre le matériau dans sa pleine historicité, tantôt il le regarde depuis le contemporain, faisant alors entrapercevoir le réel des interprètes qui n’est toutefois ni dramatisé, ni complètement extériorisé. Nous pouvons alors regretter que ce rapport dynamique à l’essai soit assez déséquilibré, et que les éclairages historiques souvent didactiques – il s’agit surtout de scènes éclairant la vie de Valérie Solanas et la fameuse affaire Wharol – l’emportent dans l’économie dramaturgique sur la matière brûlante du manifeste et surtout sur ce temps zéro, performatif, que les interprètes auraient dû bien plus investir pour que le dialogue attendu avec le manifeste advienne réellement.
En effet, le regard contemporain sur le SCUM Manifesto peut se réduire ici à des échos grinçants et évanescents à des figures masculines actuelles. La connexion avec le texte se fait toutefois plus sensible et plus complexe dans le monologue de Mauser qui, au mitan du spectacle « dépoucer un faux poulet » et raconte alors l’éducation désinfectante qu’elle a reçue, à mille lieues de la violence salutaire qui la gagnera. Par ailleurs, le spectacle cultive surtout des signes de violence, des indices de menace, des actes dérangeants à l’état de promesse – à l’image de ces cocktails molotov qu’on apprend prosaïquement à réaliser, mais qui deviennent des signes finalement inusités. La violence devient alors davantage réfléchie, signifiée et racontée que réellement magnétisante dans le spectacle. Beretta 38 conserve toutefois pour grande qualité de très bien faire entendre ce qu’est une lutte révolutionnaire féministe et l’intransigeance qu’elle suppose ; et par les temps dans lesquels nous courons, où certain·e·s en viennent à dépolitiser et décrédibiliser #metoo en lui renvoyant son supposé « vertige » moral, cela reste complètement salutaire.
Pierre Lesquelen, 24 octobre 2024
Distribution
Conception, texteCollectif FASP et extraits du SCUM Manifesto de Valerie Solanas
Mise en scène et jeu Collectif FASP – Loïse Beauseigneur, Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Jade Emmanuel, Valentine Lê, Charlotte Moussié, Manon Poirier, Manon Xardel
Scénographie Loïse Beauseigneur, Valentine Lê, Charlotte Moussié
Costumes Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Jade Emmanuel
Musique Léa Bonhomme, Valentine Lê, Manon Xardel
Lumière Loïse Beauseigneur, Charlotte Moussié