À L’OUEST


conception


COLLECTIF BAJOUR





© Loewen

Vu au Théâtre Public de Montreuil - 12 octobre 2022


                                    

« Retour de flammes »



Le collectif Bajour signe une chronique familiale à gros bouillons, un spectacle séduisant à première apparence dans ses joyeux débordements mais qui laisse le goût amer d’un théâtre hors-sol.

La scène est couverte de cendres – de l’incendie de la maison familiale il ne reste rien, que la grande table et le garage hanté, rempli de cassettes audio tel un mausolée phonique, recueil dérisoire de morceaux de vie arrachés à l’oubli par la frénésie d’enregistrement d’un des enfants, une manie héritée du père disparu.  

L’espace scénique est d’une grande beauté plastique, quoiqu’un peu figée : plus aucune matière n’y semble vivante. Il est dur de croire dans ces conditions aux corps des acteur-rices qui brûlent du feu de l’amour ou des flammes réelles, tant ils et elles demeurent intouché-es par la cendre, déjà pâles comme des fantômes malgré la démonstration réitérée de leur virtuosité de jeu.

Les trois frères, les deux sœurs - chacun-e affublée de leur petite bizarrerie psychologique, de leurs manies et désirs (pas si) secrets – et Marc-le-voisin-gênant, personnage de série télé et ressort comique de cette affaire, tentent pourtant de donner du souffle à cette histoire dont les enjeux demeurent difficiles à saisir. Nous comprenons la volonté de dessiner le portrait émotif et mouvant d’une famille, prise sur le vif dans ses élans, ses déchirements et ses contradictions. Le collectif tente de mettre en scène un impossible deuil, en envoyant valser un naturalisme considéré comme dépassé. Les scènes se succèdent mécaniquement dans un va-et-vient temporel entre les souvenirs chéris, le présent flamboyant et l’avenir consumé, toujours dans la vigueur écrasante du collectif qui donne peu d’accès à une parole intérieure des personnages, privés d’une cohérence dramaturgique. Difficile de croire aussi aux pulsions incendiaires du frère ainé, malgré des warnings peu subtils : regardez comment la violence surgit dans les jeux d’enfants, les disputes, comme le trouble s’installe dans la réactualisation des rituels…

À vouloir nous saisir par les sentiments, en faisant feu d’une théâtralité « modernisée » (adresse directe au public, chant choral, image finale dansée, théâtre de voix à travers une utilisation pour le coup inventive et judicieuse des enregistrements) les traits sont forcés, la douleur des personnages peine à parvenir et la légèreté sonne factice.

Le spectacle manque cruellement d’un ancrage, d’un point de vue situé, et cet écueil dépasse le cadre du théâtral, c’est une question politique. Le cadrage spatio-temporel est volontairement flou et cette ambivalence n’est pas dépourvue d’intérêt mais délaisse la nécessité d’être au clair sur certaines questions d’énonciation. Nous sommes laissé-es dans l’angoisse d’une époque post-apocalyptique, sans savoir si une catastrophe s’est réellement abattue sur le monde extérieur, où toustes seraient désormais sans emploi et sans repères, justifiant le retour de la fratrie dans l’imposante maison de leur enfance, ou si la catastrophe est de l’ordre de l’intime seulement : la mort des parents, les gouffres du passage à l’âge adulte. Cette hésitation dramaturgique est riche mais sous-exploitée, donnant aux mouvements et aux atours des personnages une allure étrange et peu crédible, comme dans la scène-bascule où l’une des sœurs annonce qu’elle s’en va car elle a retrouvé du travail. Au lieu de réjouir, son émancipation déclenche pleurs, récriminations, peurs et délire mortel.

Malaise donc, au face à la prétention universalisante de cette chronique familiale via une manipulation émotionnelle des spectateur-rices, qui ne questionne pas la dimension située de cette représentation. C’est le portrait d’une famille blanche et bourgeoise qui disserte sur les joies et les peines, la difficulté d’aimer mal ou trop tard, les méfaits du temps qui passe… C’est un théâtre tourné vers soi, et non généreux comme on voudrait nous le faire croire.




Pauline Guillier, 20 octobre 2022



Distribution

mise en scène Leslie Bernard et Matthias Jacquin

avec Leslie Bernard, Julien Derivaz, Julie Duchaussoy, Matthias Jacquin, Hector Manuel, Asja Nadjar / Adèle Zouane, Georges Slowick, Alexandre Virapin

scénographie François Gauthier-Lafaye

création et régie lumière Julia Riggs

création et régie son Marine Iger

construction et régie plateau François Aupée

photos Loewen Photographie




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