HAMLET(TE)


d’après William Shakespeare


adaptation et mise en scène



CLÉMENCE COULLON





© Chritophe Raynaud de Lage

Vu au TGP (Saint Denis) le 17 mai 2024

                                    



À corps perdus (Hamlet)

Hamlet(te) est une re-création à partir du spectacle de fin d’école au CNSAD de la metteuse en scène Clémence Coullon. La présentation du spectacle nous informe d’emblée que cette représentation sera interrompue par un accident sur le plateau.



L’effet de surprise est perdu, mais à l’inverse on scrute chacune des scènes à l’affût du dérapage. Habile manière de jouer de la communication pour intensifier l’attention de la salle. Salle conquise d’emblée ce dernier soir de représentation, les premiers pas de chaque acteur.ice étant accueillis immédiatement d’éclats de rires par les familiers. Cette promotion sortante du CNSAD déborde d’énergie, et les registres que Shakespeare déplie dans Hamlet n’ont pas trouvé preneur. De Hamlet, ni les soupçons métaphysiques sur ce qu’est la réalité, ni les mensonges de l’autorité, ni l’ambivalence de la légèreté et de l’innocence, ni l’emploi rusé d’un jeu à la cantonade n’ont offert d’appui au plateau pour réélaborer ce qui se joue dans notre temps amnésique, confus et bête jusqu’à la ruse. Il y a d’autres portes d’entrée dans l’œuvre. Il serait vain de vouloir les énumérer, car chaque mise en scène en fait, ou non, la preuve.



Ici il y a une joie féroce prise au plateau à jouer, à foncer dans les enjeux démesurés et images éblouissantes des vers, à faire feu de tout bois. Hamlet est tué accidentellement par Ophélie. Erreur de mise, un fusil traînait là. Arrêter la représentation d’Hamlet, pourquoi pas, car au fond ici, peu importe Hamlet. Il pèse de tout son poids asphyxiant de monument, et c’est un rire insoucieux du détail de chaque scène qui parcourt la grande salle du TGP. Ne pas accepter les canons d’une tradition qui ne nous parle pas, ne pas s’imposer une œuvre universelle, ainsi s’éclaire le sens de l’accident. La metteuse et son assistante arrivent. Le clou du spectacle, c’est la distribution de pitch à grande envolée. L’arrêt du récit culmine dans l’entracte. Est-ce le piège que nous a préparé Clémence Coullon, de nous donner ainsi avec ce centre vide brioché une souricière où nous nous surprenons les uns les autres à préférer les pitchs aux vers d’Hamlet, tout juste rattrapés par la gouaille des acteur.ices ? Mais un spectacle produit son public.

Ce qui s’est ouvert est une parenthèse qui se referme. Ophélie pas encore suicidée se voit réattribuer le rôle d’Hamlet. Donc Hamlet(te). Mais cette parenthèse, cette altération qui serait peut-être un devenir-Hamlet d’Ophélie ou un devenir-Ophélie d’Hamlet, nous n’en verrons rien. Les scènes s’enchaînent, dans la furie oublieuse d’une jubilation à jouer, jusqu’au massacre de fin. Au milieu de la pièce, au moment de l’arrêt d’Hamlet, la metteuse en scène se plaint à plusieurs reprises de ses acteur.ices qui ne respectent pas le texte. Or, c’est par un accident des corps, et non du texte, qu’Hamlet est tué et que le cours de la représentation s’interrompt. Comment comprendre que Clémence Coullon mette en scène une metteuse en scène obnubilée par le texte et aveugle quant à ce qui se passe sur le plateau ? C’est peut-être une ironie féroce, qui saisit toutes les figures de la création théâtrale (sauf les technicien.nes, que nous avons par ailleurs le plaisir de voir au salut). J’aime une autre hypothèse : un texte qui ne fait pas sens, un texte qui ne déplie pas un monde, une perspective, un détail, met mal à l’aise le corps exposé qui doit le porter sur scène. Ce texte le pique, l’agite et le rend furieux. Alors oui, c’est bien à cause du texte qu’un pied frébile touche la gachette du fusil, d’où part la balle qui tue Hamlet. Un acte manqué des corps et des vers.

Le mercredi de cette même semaine sortait en salle Le deuxième acte de Quentin Dupieux. Là aussi, un jeu féroce sur la convention de jeu, la fiction et la réalité, mais c’est-à-dire là les masques et les faux-semblants. Le film nous laisse sur cet enjeu: pour chacune de ces façons de jouer la partie, dedans, dehors, avec toutes les ruptures les plus brillantes, quel en est l’effet de réalité ? C’est-à-dire, qu’est-ce qui est saisi et digéré par les corps ? Le reste peut être mis entre parenthèses.

 


William Fujiwara, 20 mai 2024
    


Distribution 

avec Alexandre Auvergne, Chloé Besson, Olivier David, Lomane de Dietrich, Hermine Dos Santos, David Guez, Sébastien Lefebvre, Hugo Merck, Guillaume Morel, Shekina Mangatalle-Carey, Hélène Rimenaid, Basile Sommermeyer, Julie Tedesco, Léna Tournier Bernard

traduction  Jean-Michel Déprats

dramaturgie Clémence Coullon, Barbara Métais-Chastanier

collaboration artistique Hugo Merck

scénographie et régie générale Angéline Croissant

lumière Félix Depautex

son Marc Bretonnière

costumes  Marion Duvinage, Marion Montel

assistanat à la mise en scène  Lolita de Villers











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