Jour 5005 de la grande inertie


conception


Cie Wes Bottom






© DR


Vu le 04 avril 2025 à la Maison du Théâtre d'Amiens


                                    



“Le panier et la dramaturgie de l'éclosion“


Bourgeonnant calmement au cœur d'une chrysalide végétale, deux êtres en floraison, Mondo et Kauffi, amix pour la vie, passent une journée comme une autre, le jour 5005 de la grande inertie : iels peuplent l'espace d'amix imaginaires, fêtent en musique les événements du quotidien, célèbrent la longévité et la richesse de leur amitié, lisent et interprètent des fables métamorphiques, tandis que poussent leurs légumes mis en pot avec un soin solennel et arrosés de larmes d'émotion pure.

L'écho-système de la grande inertie fonction sans agôn, sans conflit : tout naît du lien, du soin, de la coopération, de l'émotion, de l'amitié, donc fondamentalement de l'interrelationnalité dans une simplicité radicale. Par opposition à l'ancien monde, que Mondo et Kauffi ont connu par le passé, c'est une ère posthistorique, il n'y a plus « d'histoire » puisque il n'y plus de héros qui domine le récit mettant en œuvre des conquêtes ou des aventures où celui-ci apprend à s'imposer dans le monde par la force, la technique et la maîtrise de la nature. La fiction fondamentale de l'ère de la grande inertie est celle du panier (Ursula Le Guin) : tout a une place, tout compte, tout est recueilli, protégé et contenu dans le temps et l'espace ; tout fonctionne en lien. Cette organisation des valeurs organise une grande stabilité qui laissent le temps à des passions lentes et aux processus d'éclosion de toute chose.

Jour 5005 de la grande inertie installe la théâtralité manifeste de Léo Kauffman et Aude Mondoloni réunis au sein la toute jeune compagnie Wes Bottom en redonnant à la notion de naïveté son sens originel et révolutionnaire, comme alternative à la rationalité néolibérale patriarcale écocide. Les visions qu'inspire cette science-fiction panier n'ont rien d'impensé ou d'un délire psychédélique. La frontalité avec laquelle iels mettent en place le premier degré sentimental et le rêve de résonance (Hartmut Rosa) sans cape ironique, sans protection surplombante, nihiliste ou narquoise est à souligner tant la postmodernité taxe tout rêveur d'hurluberlu sous substance et lève les yeux au ciel quand la force des sentiments et des émotions n'est pas euphémisée. Au début de la séance, Léo et Aude font l'état des lieux de ce qu'ils ont pour faire naître l'enchantement dans lequel leurs doubles, Mondo et Kauffi, vont évoluer : du matériel (des projecteurs, deux micros, une guitare, un parc de fleurs et de plantes) et des créateur·ices (Léo à la musique, Aude au texte et au chant, Jules Fernagut à l'installation scénique et technique, Hugo Mallon au regard ami et avisé).

Le pouvoir du donné est visibilisé pour donner lieu à un enchantement concret et artisanal mis en œuvre par l'interrelationnalité. Cela soulève la question du beau de manière organisationnelle et structurelle. Quelle genre d'activité est-ce que d'organiser les choses afin qu'elles soient belles ? Que veut dire faire du beau ? Léo et Aude semblent indiquer qu'il n'y a pas à produire le beau mais à le laisser éclore pour le recueillir et en jouir collectivement. Par opposition à un monde d'argent, La Grande Inertie s'organise autour du beau en laissant le temps à ses habitant·e·s de s'en apercevoir et de le contempler.




Anne-Laure Thumerel, 19 mai 2025.



Texte et mise en scène Aude Mondoloni

Création musicale et sonore Léo Kauffmann

Interprétation Léo kauffmann et Aude mondoloni

Création lumière, régie et construction Jules Fernagut

Regard extérieur Hugo Mallon

Coiffes et consultation costumes Alix Descieux-Read, Neula Hilton


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