Deux ou trois choses dont je suis sûre


texte


Dorothy Allison


mise en scène


Manon Ayçoberry







© Teona Goreci


Vu à la Pokop (Strasbourg) dans le cadre du Festival Demostratif le 3 juin 2025


                                    



“Gagner le sentiment de mon corps propre, pouvoir aimer l'autre“


La compagnie L'onde présentait au festival Démostratif Deux ou trois choses dont je suis sûre, adaptation en cours de création du roman du même nom de Dorothy Allison. A l'image des nappes sonores et des riff d'Agathe Lavarel, la mise en scène de Manon Ayçoberry construit un théâtre narratif à la fois minimaliste et lyrique, où la retenue constitue la condition pour exprimer et faire entendre l'art des récits de Dorothy Allison.

Ces récits se dilatent dans la proximité et la distance à la position de la narratrice, embrassant la rudesse et la brutalité des adolescents de son voisinage, la rage et la hargne des tantes, la vitalité des amitiés étudiantes, l'amour et l'admiration pour sa mère, l'effroi face à son beau-père. Ces récits variant d'amplitude et d'allure se redistribuent dans tout l'espace de cette scène disposée en trifrontal pour cette présentation à la Pokop. Le portrait sociologique de ce coin de Caroline du Sud se dessine aux quatre coins de l'assemblée que constitue le public. Les confessions des sœurs à la quarantaine trouvent, sur un coin de gazon découvert, un courage et une confiance pour se dire les stratégies de survie individuelle, le silence entre elles, face à un beau-père incestueux. Le cœur de cette auto-fiction réside dans l'articulation intime du plaisir et de la violence. Nouée par l'inceste, cette articulation prend la forme de la jouissance à parvenir à retourner la peur, à ce que l'agresseur se sente agressé, menacé, lorsque l'adolescente jusque-là violée parvient à saisir un couteau et à mettre un terme à l'impunité du beau-père. Cette première jouissance donne le nœud qu'elle retravaillera par diverses voies, par la drogue, par le SM, par le karaté, en vue de dénouer l'un et l'autre : qu'enfin ce corps soit mon corps, aimant, capable de soutenir le plaisir et l'amour de l'autre.

La dramaturgie d'Ayçoberry pourrait être dite plate, comme on parle d'ontologie plate, pour désigner une perspective sur le réel où le souvenir de l'odeur du foin mêlé à celle de l'essence n'est pas moins à considérer, pas moins consistant, qu'une éthique du travail transmise par sa mère serveurse de restaurant, ou bien que le récit d'un épisode d'inceste, ou encore l'expérience de l'effort pendant un cours de karaté. Toutes n'ont pas évidemment le même poids dans le destin d'un être, et Deux ou trois choses dont je suis sûre est aussi le récit orienté d'une émancipation qui refait autrement ce que l'inceste avait défait et renoué autrement. Et paradoxalement, c'est cet horizon dégagé, ouvert sur les divers registres de la pensée et de la sensibilité, qui rend plus aïgue la ligne de crête d'un destin, d'une émancipation qui invente ses voies, toujours surprenantes, en l'occurrence dans ce très beau final d'un jogging d'échauffement pour un cours de karaté.





William Fujiwara, 23 juin 2025.



texte Dorothy Allison

traduction Noémie Grunenwald

mise en scène Manon Ayçoberry

interprétation Chloé Aubert, Camille Falbriard, Pasiphaé Le Bras

assistanat à la mise en scène et régie générale Audran Morancé

scénographie Camille Soyaux

création lumière Kim Chowanek

composition, musique au plateau Agathe Lavarel

sensei Joël Nunes et Jacques Tapol


︎  ︎︎  MENTIONS LÉGALES︎  CONTACT 
© 2022 - Tous drois réservés