MAGDALÉNA
(extrait)
(extrait)
chorégraphie
“Un tableau peut en cacher mille“
La perle unique à leurs oreilles, comme en écho à Vermeer, donnait déjà un indice : les corps, explorant plusieurs états quasi stationnaires, s’entremêlant bien souvent dans des postures peu naturelles, posent pour le spectateur. En leur sein, des mouvements s’immiscent avec un minimalisme éblouissant : une tête se tourne, un bras se relève, un pied glisse… Alors la pose a complètement changé de sens : d’une scène d’amour peut-être, une colère a surgi ; d’une étreinte, une menace — et peut-être qu’en quelques secondes, douze autres peintures se sont dépliées… C’est selon ce que le spectateur y projette : l’imaginaire des tableaux se reconfigure en effet à chaque mouvement, créant une myriade de sensations pour celui qui part en voyage herméneutique. D’autant que, si les danseuses ont un temps les yeux fermés, ceux-ci s’ouvrent d’abord dans un regard mutuel, lourd du sens qu’on voudra bien lui apposer, puis vers le public : alors le tableau nous regarde, il s’anime, il veut nous parler. Parfois ce regard s’accompagne d’un mince sourire, et l’effroi, déjà contenu dans ces yeux bizarrement inexpressifs, grandit secrètement en nous : on navigue entre l’inquiétante étrangeté et la vallée de l’étrange, entre l’ancêtre poussiéreux sur une toile de musée et l’automate en mouvement, tous deux détenteurs d’un savoir inaccessible à celui qui les regarde.
Quelquefois encore, le mouvement accélère, et les corps sont pris dans une frénésie de reconfigurations, comme s’ils exploraient toutes les variations de postures possibles, comme si les tableaux se mettaient à discuter entre eux : le vertige sensoriel suit la fluidité de la danse, et le langage chorégraphique complexe de Chloé Zamboni se dévoile avec d’autant plus de profondeur. On ne s’étonne pas que le spectacle s’inspire des Variations Goldberg de Bach : même si la musique qui accompagne les corps est électronique et atmosphérique, le spectacle, qui en reprend la rigueur mathématique, parfois même l’aridité, explore toutes les variations musicales et picturales à l’intérieur du mouvement, aussi bien physique qu’imaginaire. Sans aucun doute, Magdaléna, rituel à la fois lent et échevelé, magnifie la charge sémiotique concentrée dans chaque geste dansé.
Victor Inisan, 22 septembre 2023.
Distribution
Chorégraphie Chloé Zamboni
en étroite collaboration avec Marie Viennot
Interprétation Marie Viennot et Chloé Zamboni
Assistant chorégraphique Joachim Maudet
Composition musicale Arthur Vonfelt
Création lumière et régie générale Thibaut Fack
Regard extérieur Pauline Bigot