GLORIA GLORIA


écriture 


MARCOS CARAMÉS-BLANCO


mise en scène


SARAH DELABY-ROCHETTE





©  Marie Charbonnier

Vu au Théâtre Paris Villette dans le cadre du festival Spot - 12 septembre 2023

                                    

“Il y a des choses que je ne dis à personne“




Avec Gloria, Gloria, Marcos Caramés-Blanco réactive l'exercice classique de la fabrique du personnage théâtral pour ajouter sa petite dernière au panthéon des héroïnes :  Gloria, la « première de corvée », travailleuse « essentielle », prolétaire, fumeuse, grosse, poilue, grande-gueule exploitée du patriarcapitalisme.

Il nous propose une unité de temps et de lieu à la Akerman : vingt-quatre heures dans la vie de Gloria dans une ville moyenne de la France péri-urbaine. Le dramaturge pose un incipit poétique et cabarettique à la Almodovar - quelque chose a eu lieu, une catastrophe ou un miracle, mystère mystère - en installant au Ciel la figure drag de La Verge Mary, qui fait office de figure d'alliée céleste. Puis il fait entrer la traditionnelle confidente, Rita, qui va opérer le « rite classique » de raconter ce dont elle a été témoin mieux que personne. La vie de Gloria, qui n'est plus là pour se raconter elle-même mais dont le destin exceptionnel, la « sortie de route » des dernières vingt-quatre heures, a fait d’elle une femme extraordinaire dont l'histoire nous rassemble toustes au théâtre pour comprendre et soigner, au travers elle, ce qui peut l'être avec un peu de baume cathartique. Gloria est rattrapée par le rouleau compresseur de son destin, dépassée après avoir lancé une  rapide prière à la verticale dans un élan de ras-le-bol : « Vierge-Marie-ma-copine-pleine-de-graisses, fais tout péter ». Le schéma est millénaire et fonctionne impeccablement.

La journée commence à 5h55. Gloria se lève et entame sa morning routine de diva vulgosublime. Après avoir réalisé un make-up absolument parfait, elle va se déformer la bouche à hurler à travers l'appartement pour lever José,  son concubin humilié du capitalisme évoluant à l'aise comme un poupon dans son rôle patriarcal. Mais alors que la machine bien huilée du quotidien semble l'entraîner dans une journée identique à la précédente, en allant chez Madame Paule faire disparaître les traces odorantes de son incontinence et supporter ses réflexions mi-flic-mi-tendres, un « incident domestique » a lieu – c'est si vite arrivé.... Gloria sort presque malgré elle du cadre bien réglé dans laquelle elle est tenue pour faire tout péter, presque malgré elle.

La seule à même de rendre compte de cette insoupçonnable métamorphose à la Cassavetes, c'est Rita, qui entame un travail de reconstitution avec une précision quasi judiciaire. Comme toute meilleure amie féministe, figure de l'écoute, de l'accompagnement et de la suspension du jugement, elle a « tous les dossiers » sur Gloria, dans les moindres détails et va aider notre œil et notre jugement à extraire Gloria de la binarité bourreau - victime. Dans une veine très brechtienne, elle ne va ni la sauver, ni la condamner ; elle va la décortiquer, séquence par séquence pour en faire le portrait complexe en redonnant de l'épaisseur subjective et systémique aux faits, pour mettre en exergue les moment du choix.

Le travail de la metteuse-en-scène Sarah Delaby-Rochette, très efficace, s'appuie sur un « échafaud » central, qui illustre le petit appartement de Gloria et José, et sert de grand plan de travail pour un bruiteur. Rita et le bruiteur scrutent les faits et gestes de Gloria et les « doublent » de manière épique. Sarah Delaby-Rochette réussit ainsi à former des images qui « pointent », c'est-à-dire des images qui montrent en leur creux une violence systémique. Rita et le bruiteur pressent en quelque sorte l'image comme on presserait un bouton pour en faire sortir le pue. Ce qui saute aux yeux n'a pas besoin d'être dit et surtout, aurait pu être autrement. Donnons un exemple. Gloria va aux toilettes et s'enferme, seul espace où ses faits et gestes ne sont pas surveillés par la vieille Madame Paule et qui constitue un lieu à soi où José lui accorde de « prendre son temps ». Elle fait ses besoins, se rhabille, tire la chasse d'eau. L'intégralité de la séquence est décomposée par Rita et doublée par des bruitages sonores. Quelques minutes plus tard, José va aux toilettes, ne ferme pas la porte, pisse une cascade sonore audible à l'autre bout de l'appartement, ne tire pas la chasse d'eau et referme sa braguette au milieu de la cuisine. Ce que l'on voit alors : à la maison comme au travail, c'est toujours Gloria qui doit faire disparaître les excréments des autres.

Ainsi, Gloria Gloria réussit l'exercice difficile de non-réduction d'un personnage à une catégorie, une fonction, un type, une assignation. C'est une créature ni-ni : ni victime, ni bourreau, ni révoltée, ni soumise, ni forte, ni faible, ni féministe, ni sexiste,  ni hétérosexuelle, ni homosexuelle, ni coupable, ni innocente... Gloria, c'est Gloria. Gaïa Oliarj-Inés est superbe dans le rôle et donne cette sensation, suffisamment rare au théâtre, d'avoir rencontré quelqu'un.



Anne-Laure Thumerel, 22 septembre 2023.
    

Distribution 

texte Marcos Caramés-Blanco

mise en scène Sarah Delaby-Rochette

interprètes  Lucas Faulong, Katell Jan, Benoît Moreira da Silva, Gaïa Oliarj-Inés, Thibaut Farineau 

costumes Mélody Cheyrou

lumière Alice Nédélec

scénographie Andréa Warzee

son Thibaut Farineau









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